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"La Marchandisation de l’éducation", dossier d’Administration & éducation, 24/4 (Le Café, ToutEduc)

19 décembre 2023

“La Marchandisation de l’éducation"
Revue Administration & Éducation – No 180 – 2023/4
Coordination : Claude BISSON-VAIVRE, Alain BOUVIER, Genevieve et Isabelle KLÉPAL

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Sommaire
Éditorial
– C. Bisson‐Vaivre, A. Bouvier, I. Klépal

Première partie : Le contexte de la marchandisation de l’éducation
The shadow education : perspectives internationales sur un secteur en pleine expansion
– M. Bray

La marchandisation à l’œuvre dans le système scolaire et supérieur français : raisons et conséquences
– A. van Zanten

La marchandisation de l’éducation en France : entre marché, régulation et parentalité
– G. Felouzis, B. Fouquet‐Chauprade

La marchandisation de l’éducation : le lieu d’un problème
– P. Mathias

Deuxième partie : Entre besoins, offres et dépendance
Faiblesses de l’École et conquête du marché
– A. Perrin‐Turenne

Les relations économiques entre le numérique éducatif et l’École
– G. Braun, J.‐F. Cerisier, T. Joffredo

Existe‐t‐il un marché du numérique éducatif ?
– G. Braun

L’École française au défi des « géants du numérique »
– J.‐F. Cerisier

Biens communs ou biens marchands ? Plaidoyer pour « libérer » le numérique éducatif
– T. Joffredo

Les officines privées à l’entrée dans l’enseignement supérieur
– C. Moisan

La place des intérêts marchands dans les formations professionnelles
– N. Perrot

Troisième partie : Entre demandes et inégalités induites, fragmentation de l’École ?
L’École est‐elle une marchandise ? Ce que nous enseigne la difficile mise en œuvre de la mixité sociale et scolaire dans les établissements en France
– A. Jellab

Le coaching scolaire, un révélateur de la marchandisation de l’éducation ?
– A.‐C. Oller

L’instruction en famille : contre la marchandisation, tout contre
– P. Bongrand

Comment (sur)vivre lorsque les subventions diminuent ? Le cas d’associations complémentaires de l’enseignement public
– I. Prat

Postface
Les avenirs de l’École face à la marchandisation
– J. Attali

 

Notes de lecture
Quelle laïcité voulons‐nous ? par Pierre Kahn
– note d’Alain Boissinot

De la difficulté d’enseigner par Jean‐François Condette (dir.)
– note d’Alain Boissinot

Écoles en révolte par Lilian Mathieu, Vincent Porhel, Jean Yves Seguy, Yves Verneuil (dir.)
– note de Monique Chestakova

L’atlas des inégalités ; Le Monde & La Vie Hors‐Série, octobre 2023
– note de Michèle Sellier

Extrait de afae.fr de décembre 2023

 

PRESENTATION DES RESUMES :

Édito
Claude BISSON-VAIVRE, Alain BOUVIER, et Isabelle KLÉPAL
En posant l’ouvrage sur le métier, ouvrage que nous avons circonscrit au seul enseignement scolaire 1
, nous étions convaincus que la marchandisation de l’éducation était un phénomène connu, mesuré, évalué, à l’évolution silencieuse et lente, et que quelques données bien choisies nous permettraient d’introduire la réflexion et les articles qui l’alimenteraient. Il a fallu très vite nous rendre à l’évidence et reconsidérer notre entrée dans le sujet avant d’aller plus au fond. Avant d’avoir commencé, nous aurions presque été portés à conclure, au moins en ce qui concerne le système éducatif français, que le sujet n’en était pas un et que, masqué par la régulation de l’enseignement privé au travers de la loi Debré 2, le phénomène était d’une part bien maîtrisé et d’autre part relativement marginal. Découverte inattendue ou pas, nous avons aussi constaté qu’enseignement privé et marchandisation ne sont pas synonymes. Aussi les acteurs du système n’ont‐ils pas perçu que le « hors scolaire » marchand cerne le
scolaire jusqu’à l’envahir peu à peu. Et dans ce processus, la marchandisation impacte de la même façon l’enseignement public et l’enseignement privé. La problématique est particulièrement complexe et il faut veiller à ne pas l’asseoir uniquement sur un passé qui n’aurait pas imaginé les transformations sociétales, technologiques et politiques inhérentes aux évolutions du monde.

The shadow education : perspectives internationales sur un secteur en pleine expansion
Mark BRAY
En introduction de ce numéro, cet article donne les contours de la shadow education. Éducation parallèle, celleci tend à se diffuser sur l’ensemble de la planète, surfant sur la vague de la mondialisation des économies. Pour bien mesurer l’ampleur du phénomène, une typologie des acteurs et leur identification s’avèrent nécessaires. Bien que la plupart des nombreux exemples donnés soient situés hors d’Europe, les pratiques décrites interrogent non seulement les réglementations mises en place mais aussi l’éthique et la déontologie des intervenants. Elles alertent sur les dérives auxquelles sont exposés les systèmes éducatifs nationaux.

La marchandisation à l’œuvre dans le système scolaire et supérieur français : raisons et conséquences
Agnès VAN ZANTEN
La marchandisation, c’est-à-dire l’extension des domaines accessibles à une régulation de l’offre et de la demande autour du prix et, plus largement, autour d’un principe de concurrence, est actuellement largement à l’œuvre sous des formes diverses (marchés hybrides, extension du nombre de produits et services éducatifs marchands) dans l’enseignement scolaire et supérieur français. Cela doit inciter les responsables politiques et les acteurs de la base, ainsi que les chercheurs, à s’interroger sur les raisons de ce phénomène et sur ses conséquences, notamment sur les inégalités d’éducation.

La marchandisation de l’éducation en France : entre marché, régulation et parentalité
Georges FELOUZIS Barbara FOUQUET-CHAUPRADE
La France, comme bien d’autres pays, s’inscrit dans un processus de marchandisation de son éducation. Pourtant, elle y tient une place singulière. Le système reste en effet fortement régulé par la puissance publique et nous montrons la place toute particulière qu’y tient l’enseignement privé, largement subventionné par l’État. Nous montrerons ensuite que la marchandisation s’explique aussi par les demandes familiales et les nouvelles normes de parentalité. Enfin, nous donnons quelques éléments sur les nouvelles tendances éducatives qui s’inscrivent eux-aussi dans le mouvement mondial de marchandisation de l’éducation.

La marchandisation de l’éducation : le lieu d’un problème
Paul MATHIAS
Le propos de cette note n’est pas de pointer le danger que constituerait l’assimilation de l’éducation à un bien marchand : l’éducation est incontestablement un bien marchand attesté par l’organisation même de l’école, à la fois publique et privée ; il est donc vain de s’en émouvoir. En revanche, il importe de comprendre ce que signifie de l’y réduire et de se rendre compte qu’il en résulte un conflit d’idéaux où s’opposent, structurellement, d’un côté, un pragmatisme de la formation professionnelle porté par un souci d’efficience, et, de l’autre, un idéalisme de l’édification personnelle et citoyenne, réputé faire écho aux valeurs fondatrices de la société civile. On observe ainsi quelque chose comme une angoisse institutionnelle tenaillant le système français d’enseignement, qui affecte profondément la conduite de politiques publiques et qui les fragilise en les rendant tributaires de techniques communicationnelles fondues dans un présent déraciné.

Faiblesses de l’École et conquête du marché
Agnès PERRIN-TURENNE
Interview réalisée et transcrite par l’équipe de coordination
De nombreuses entreprises commerciales (Acadomia, Anacours, Complétude, Cours Legendre, Superprof...) accompagnent des élèves : à côté, en complément, en supplément, en substitution de l’École ? Tous les niveaux sont concernés, du CP à l’université, avec même une incursion à l’école maternelle. Cours à domicile, en ligne, en centre, coaching, etc., de multiples modalités sont proposées. Entre start-up de l’e-learning et poids lourds du soutien scolaire comme Acadomia, la concurrence se fait rude, on observe la compétition des encarts publicitaires très accrocheurs, révélant un marketing offensif très inhabituel dans le monde feutré de l’Éducation nationale.
Agnès Perrin-Turenne a été chargée de développement à Acadomia et dirige désormais la Tony Parker Adéquat Academy, structure privée de sport-études ; elle nous expose son point de vue sur la création et le développement de telles entreprises.

Existe-t-il un marché du numérique éducatif ?
Gilles BRAUN
En France, le matériel scolaire est un marché considérable dans lequel le secteur du numérique occupe une place de plus en plus importante. Les budgets publics sont mobilisés sous différentes formes : en amont, le soutien à la production par des acteurs d’horizons divers ; en aval, l’acquisition par les établissements, le ministère ou les collectivités territoriales. Aux modèles économiques classiques de l’acquisition de produits s’adjoignent des formes plus spécifiques au monde du numérique (logiciel libre, freemium...). Dans un tel cadre, comment l’État peut-il mener un pilotage efficace garantissant à la communauté éducative le respect des principes d’un service public seul à même d’éviter une privatisation de l’éducation ?

L’École française au défi des « géants du numérique »
Jean‐François CERISIER
Les statistiques manquent mais la réalité est là ! L’utilisation des services des « géants du numérique » est massive dans l’Éducation nationale. Parfois au travers de licences collectives souscrites par la puissance publique, le plus souvent via des comptes personnels et gratuits qui échappent à l’emprise réglementaire de l’institution et offrent encore moins de garanties quant à la protection des données personnelles. Ainsi, l’utilisation des suites logicielles Office 365 (Microsoft) et Workspace (Google) suscite-elle depuis des années des controverses qu’il est utile de resituer dans un contexte institutionnel, géopolitique, juridique et éthique.

Biens communs ou bien marchands ? Plaidoyer pour « libérer » le numérique éducatif
Thierry JOFFREDO
La marchandisation de l’école trouve une manifestation visible dans la croissance du marché du numérique éducatif. Des acteurs du secteur marchand se positionnent auprès des écoles et établissements afin de leur fournir matériels, ressources et services (propriétaires et fermés) pour répondre aux prescriptions de l’Éducation nationale en matière de développement des usages en classe, avec des enjeux importants souvent négligés (indépendance, protection, sobriété). Une politique de promotion et de mise à disposition de « communs numériques » et des logiciels et ressources éducatives libres ouvre de nouveaux horizons, offrant plus de maîtrise et de libertés aux acteurs de l’éducation, tout en étant plus alignée avec les valeurs de transparence, de partage,
d’émancipation et d’ouverture, consubstantielles de l’éducation. L’exemple de Toutatice, environnement
numérique de la communauté éducative bretonne, construit à partir de briques logicielles libres et opéré par l’académie de Rennes en partenariat avec les collectivités locales, montre la voie à suivre depuis plus de quinze ans maintenant.

Les officines privées à l’entrée dans l’enseignement supérieur
Catherine MOISAN
Il existe aujourd’hui un véritable marché portant sur la transition entre le lycée et l’enseignement supérieur. De nombreuses offres (préparations et coachings) payantes figurent sur internet. La plupart existent depuis longtemps, ce qui montre que cette marchandisation n’est pas récente. Mais l’offre s’adapte très rapidement aux réformes (études de santé, Parcoursup). Elle vise un public restreint, disposant de moyens financiers suffisants et souhaitant mettre toutes les chances de son côté pour accéder et réussir dans des formations très demandées (et donc sélectives). Elle promet de répondre, sans aucune garantie, à des insuffisances du service public en termes
d’information, de préparation ciblée.

La place des intérêts marchands dans les formations professionnelles
Norbert PERROT
Depuis 150 ans, l’enseignement est gratuit en France dans les établissements scolaires publics. Mais petit à petit, des « marchands de l’éducation » ont cherché à empiéter sur le terrain de l’État dans le domaine de la formation.
Les formations professionnelles sont-elles ciblées comme le sont les filières générales ? Dans un premier
temps, les filières professionnelles semblent être épargnées, essentiellement à cause de la complexité de la formation et du coût des plateaux techniques. Mais la loi du 5 septembre 2018, en libéralisant les formations professionnelles, pourrait ouvrir ces filières à la marchandisation.

L’École est-elle une marchandise ?
Ce que nous enseigne la difficile mise en œuvre de la mixité sociale et scolaire
dans les établissements en France

Aziz JELLAB
L’une des questions socialement vives qui s’est invitée dans les débats publics durant ces dernières années porte sur la mixité sociale et scolaire dans les écoles et les établissements scolaires en France. Si la loi du 8 juillet 2013 a confié au service public de l’éducation la mission de veiller à « la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement », il faut bien prendre acte du fait que celle-ci est loin d’être partout effective et que les progrès constatés ne résistent pas au renforcement de l’entre-soi, à l’ancrage de formes de ségrégation tout autant sociale que scolaire, phénomènes auxquels l’enseignement privé, tout en étant sous contrat dans sa grande majorité, contribue indéniablement. Les facteurs rendant compte de cette réalité sont nombreux mais ils tiennent fondamentalement à deux éléments majeurs : d’une part, le manque de lisibilité politique qui permettrait de donner du sens à la mixité sociale et scolaire (pourquoi la mixité sociale et scolaire ?) ; d’autre part, l’emprise exercée par les diplômes qui conduit les familles les plus favorisées ou dont les enfants sont le plus en réussite scolaire à convoiter les meilleurs établissements ou une offre scolaire privée qui se conforme à leurs attentes. Le primat des intérêts particuliers sur l’intérêt général donne à l’école l’apparence d’une institution fonctionnant comme un marché, et rend difficile la mise en place d’une mixité sociale et scolaire. Si des leviers existent, ils n’ont pas encore montré leur totale efficacité.

Le coaching scolaire, un révélateur de la marchandisation de l’éducation ?
Anne‐Claudine OLLER
Modalité émergente de l’accompagnement de la scolarité, le coaching scolaire, notamment celui qui vise l’orientation, apparaît comme l’une des stratégies éducatives familiales relevant d’un marché en pleine expansion. Cet article examine en quoi le coaching scolaire est un révélateur de la marchandisation de l’éducation, tant au regard de la rencontre entre une offre et une demande, afin de
permettre à des jeunes de convertir leur capital économique en capital culturel, qu’au regard du soutien apporté par l’État à cet accompagnement scolaire. Ainsi se pose la question des choix politiques
faits à l’égard de l’orientation.

L’instruction en famille : contre la marchandisation, tout contre
Philippe BONGRAND
Marginale mais récemment en essor en France, l’instruction en famille (IEF) participe certes de logiques – mêlées – de marchéisation, de privatisation et de commercialisation de l’éducation, mais cette participation est plurivoque. Avec, par ou dans l’IEF, la marchandisation peut en effet se montrer ignorée, contestée ou au contraire encouragée. Les différents termes de cette indétermination ont toujours à voir avec le rôle de l’État.

Comment (sur)vivre lorsque les subventions diminuent ?
Le cas d’associations complémentaires de l’enseignement public

Isabelle PRAT
Alors que les associations sans but lucratif vivent grâce aux subventions de l’État, elles sont confrontées depuis plusieurs décennies aux diminutions de cette source essentielle voire principale de fonctionnement. Dès lors, elles se retrouvent contraintes de développer des stratégies pour trouver d’autres financements afin de faire perdurer leurs actions. Les associations doivent alors recourir aux logiques marchandes, devenant davantage des associations prestataires de services plutôt que des associations complémentaires de l’enseignement public.

Les avenirs de l’École face à la marchandisation
Jacques ATTALI
Interview réalisée et transcrite par l’équipe de coordination
L’ouvrage qu’a fait paraître Jacques Attali en novembre 2022 chez Flammarion, Histoires et avenirs de
l’éducation, balaye le temps depuis la préhistoire jusqu’aux siècles à venir, ainsi que l’espace à travers les continents et de nombreux pays. Ce livre passe aussi au scanner le système éducatif français. À chaque page, on ressent la formation scientifique de polytechnicien, la connaissance des usages des outils numériques les plus récents, la culture d’économiste et la grande connaissance de l’international de l’auteur.
Jacques Attali y développe des vues étayées, non conformistes, propres à déranger les idées reçues en France et pourtant considérées par le milieu pédagogique comme indiscutables. Comme s’il n’existait qu’une histoire de l’éducation, au singulier, alors que plusieurs y sont évoquées, avec notamment, les pédagogies alternatives. Dans cette interview qu’il a bien voulu nous accorder, Jacques Attali livre à la revue Administration & Éducation son analyse sur l’évolution des systèmes éducatifs en général et sur le système éducatif français en particulier, confronté au défi de la marchandisation.

 

La marchandisation de l’éducation

“Nous espérons que ce numéro sera, sinon un lanceur d’alerte, au moins à l’origine d’une prise de conscience urgente”. Claude Bisson-Vaivre, Alain Bouvier et Isabelle Klépal livrent, dans ce nouveau numéro d’Administration & éducation (n°180), la revue de l’AFAE, un état des lieux inquiétant de ce qu’ils considèrent être la marchandisation de l’éducation. Cours privés, edtech, enseignement sous contrat, coaching, le numéro met en avant leur progression et leur coût pour la société. Mais le numéro fait l’impasse sur la privatisation de l’éducation, un phénomène parallèle plus large qui est en train de s’imposer dans l’Education nationale. Est-ce parce qu’il mobilise ses administrateurs ?

La marchandisation, un signal utile ?

“Nous nous sommes beaucoup interrogés sur les raisons de ce silence relatif du monde pédagogique. Sommes-nous confrontés à l’un de ces tabous de l’École française ?”, se demandent les trois coordonnateurs de ce numéro d’Administration & éducation. On verra que la question peut englober aussi leur revue.

“L’école est-elle une marchandise“, demande Aziz Jellab. A lire, ce numéro 180 d’Administration & éducation, il semble qu’elle le soit devenue. Mark Bray fait le point sur la “shadow education” et sa diffusion dans le monde. Après avoir rappelé qu’il existe aussi une marchandisation endogène, Agnès Van Zanten montre comment l’offre d’écoles privées sous contrat participe de la reproduction sociale et des stratégies des familles les plus favorisées. A cette offre déjà ancienne, s’ajoute la croissance très rapide des écoles hors contrat et des produits et services éducatifs payants. “La marchandisation de l’enseignement secondaire et supérieur se développe en lien avec l’insatisfaction et l’anxiété d’usagers qui, ne trouvant pas un certain type d’éducation ou de formation, ou l’appui désiré, dans le domaine public, et ayant un certain niveau de ressources économiques, se tournent vers des offres et des services payants ; elle se développe aussi en lien avec la capacité du secteur marchand à s’adapter aux demandes spécifiques de ces usagers. S’il n’est pas possible que le service public propose des réponses à toutes les attentes de ces usagers, et parfois pas souhaitable non plus car cela se ferait au détriment des plus défavorisés, il ne doit pas les ignorer mais les analyser pour essayer de comprendre ce qu’est sa part de responsabilité dans leur émergence et la meilleure façon de les prendre en compte ou de les transformer“, écrit-elle. En ce sens la marchandisation est aussi un signal fort et utile envoyé à l’enseignement public.

Le numérique éducatif et sa marchandisation

Gilles Braun, inspecteur général et expert ministériel du numérique, montre la place du numérique éducatif dans cette marchandisation. ” En France, le matériel scolaire est un marché considérable dans lequel le secteur du numérique occupe une place de plus en plus importante. Les budgets publics sont mobilisés sous différentes formes : en amont, le soutien à la production par des acteurs d’horizons divers ; en aval, l’acquisition par les établissements, le ministère ou les collectivités territoriales. Aux modèles économiques classiques de l’acquisition de produits s’adjoignent des formes plus spécifiques au monde du numérique (logiciel libre, freemium…). Dans un tel cadre, comment l’État peut-il mener un pilotage efficace garantissant à la communauté éducative le respect des principes d’un service public seul à même d’éviter une privatisation de l’éducation ?”, demande-t-il. Au passage il écorne quelques lieux communs : il montre le coût du “libre” et le revers du “gratuit”. Jean-François Cerisier insiste sur la question des données personnelles et de leur marchandisation. Données qu’un ancien directeur du numérique du ministère voulait transférer aux Gafams, avant d’aller y pantoufler…

La réalité ségrégative de l’École française

Georges Felouzis et Barbara Fouquet-Chauprade montrent la place singulière de la marchandisation en France, “fruit conjoint d’une demande croissante des parents pour un enseignement de qualité et une personnalisation/ individualisation de l’éducation… et, d’autre part, de politiques publiques visant à donner par délégation à l’enseignement privé une mission de service public“. C’est cette volonté des autorités politiques qui est interrogée par les auteurs. ” Il semble que les conséquences négatives de la ségrégation scolaire sur les apprentissages, depuis longtemps établies par la recherche internationale comme nationale, aient été considérées comme secondaires au regard des avantages qu’elle procure aux élites sociales, économiques et culturelles. Il devient toutefois difficile d’ignorer le décalage grandissant entre les discours officiels sur l’École, centrés sur le principe d’égalité et sur la qualité d’un enseignement pour tous, et la réalité ségrégative et inégalitaire de l’École française aujourd’hui”, écrivent-ils.

La lutte contre la ségrégation passe par les enseignants

Mais revenons à Azizz Jellab et sa bonne question : “L’école est-elle une marchandise ?” “Alors que l’École et la République ont promu l’égalité des chances comme valeur permettant d’ouvrir des horizons à chaque élève et de lutter contre les déterminismes sociaux, le système éducatif, même s’il a contribué à l’élévation des niveaux de qualification, reste profondément inégalitaire. Pire encore, il ne laisse désormais entrevoir une possible mobilité sociale que pour une petite minorité et l’on voit bien l’écart qui s’installe entre des élèves et des jeunes, amenés à grandir dans des mondes bien différents, voire étanches. Cela concourt à amplifier la défiance à l’égard des institutions et à entretenir un ressentiment durable. Dans ce contexte, l’enseignement privé tire son épingle du jeu libéral et renforce sa position sur un marché concurrentiel“, explique-t-il. Et il n’hésite pas à aller plus loin que la dénonciation de la ségrégation scolaire. Pour lutter contre la ségrégation scolaire il ne suffira pas d’inciter les familles favorisées à scolariser leurs enfants dans le public et à réglementer l’offre comme l’envisageait Pap Ndiaye. Il faudra aussi “convaincre une partie du corps enseignant de l’intérêt de la mixité sociale et scolaire” en assurant un accompagnement didactique et pédagogique. “Cette dernière dimension apparaît sans doute comme l’antidote à administrer – à piloter – au sein de nos établissements publics pour que l’éducation reste un bien commun à vocation démocratique et ne bascule pas vers un service marchand et concurrentiel exclusif“.

La marchandisation déjà au pouvoir rue de Grenelle

Beau rappel à l’ordre. Mais inutile. Car le combat idéologique semble déjà perdu rue de Grenelle. La privatisation de l’éducation est en route au centre de l’Education nationale. On peut regretter que la revue fasse l’impasse là dessus.

C’est la logique du “Pacte” lancé par Emmanuel Macron, qui vise à mettre sous contrat toutes les écoles et tous les établissements scolaires avec des enseignants payés à la tâche. C’est celle de la proposition de loi Brisson, adoptée en avril 2023 par le seul Sénat, qui veut créer des établissements publics sous contrat avec l’Etat échappant aux règles imposées à l’enseignement sous contrat actuel. Confiées à des managers, ces établissements embaucheraient leurs enseignants, fixeraient leur salaire et auraient une totale liberté pédagogique.

La loi Brisson n’invente rien. Elle reprend les recommandations d’un rapport de la Cour des Comptes de janvier 2023 qui appelle à la création d’établissements publics sous contrat avec financement en fonction des résultats et gestion privée des enseignants.

On comprend que la marchandisation évoquée dans ce numéro d’Administration & éducation n’est que la partie immergée de l’iceberg de la privatisation. Celle-ci est portée par le Nouveau management public, qui est devenu la doctrine de la “centrale”, le ministère en lien avec des officines privées dont l’influence s’étend du Faubourg Saint-Honoré à la rue de Grenelle : l’Institut Montaigne, Teach for France etc. Comment s’en étonner quand ceux qui nous gouvernent sont le produit de la marchandisation de l’éducation ? Dans un excellent numéro de la Revue internationale d’éducation de Sèvres (n°82 de 2020), Xavier Pons parlait d’une “lame de fond”. Celle-ci submerge sous nos yeux l’Ecole française.

François Jarraud

Administration & éducation
Macron et l’inévitable privatisation de l’Ecole

Extrait de cafepedagogique.net du 19.12.23

 

La marchandisation de l’éducation est-elle inéluctable ? (revue Administration & Education)

Le marché du numérique éducatif devrait atteindre une valeur de 2,3 milliards d’euros d’ici 2025. La DGCCRF (ministère de l’Economie) estime en 2018, "à deux milliards d’euros le chiffre d’affaires du secteur du soutien scolaire" en France, et le développement de la "shadow education", des cours particuliers complémentaires, est mondial. La plus connue des entreprises qui opèrent dans ce secteur d’activité est Kumon, "qui a été créée en 1954 au Japon et opère désormais par le biais de franchises dans plus de 50 pays", la société coréenne Noonnoppi (ou "Eye Level Learning"), opère désormais dans plus de 20 pays. Originaire d’Australie, Kip McGrath opère actuellement dans 20 pays.

Claude Bisson-Vaivre, Alain Bouvier et Isabelle Klépal qui signent l’éditorial du dernier numéro d’ Administration & Education, étaient "convaincus que la marchandisation de l’éducation était un phénomène connu, mesuré, évalué". En réalité, les acteurs du système scolaire n’ont pas perçu "que le ’hors scolaire’ marchand cerne le scolaire jusqu’à l’envahir peu à peu. Et dans ce processus, la marchandisation impacte de la même façon l’enseignement public et l’enseignement privé." Ils ajoutent : "libéralisme, humanisme et École entrent en conflit sur les valeurs que nous considérons comme fondatrices d’une république indivisible, laïque, démocratique et sociale."

Or, comme le note Mark Bray (U. de Hong-Kong), "en France, l’expansion de l’industrie du tutorat a été encouragée non seulement par des forces sociales et économiques, mais aussi par des initiatives gouvernementales. Parmi celles‐ci, les plus importantes sont les allègements fiscaux dont peuvent bénéficier les parents. Les autorités françaises ont considéré ce dispositif comme un moyen d’élever le niveau d’instruction tout en partageant la charge financière." De même en Suède, un programme de déductions fiscales "a stimulé involontairement l’expansion de l’éducation parallèle". En Chine, à l’inverse, "les autorités ont d’abord interdit aux enseignants en exercice de proposer des cours particuliers, puis en 2021, le gouvernement s’est engagé dans une répression de grande envergure dans ce secteur." Résultat, "le tutorat s’est déplacé vers la clandestinité à des prix plus élevés".

Le philosophe Paul Mathias (IGESR) s’interroge sur le sens même du mot éducation et reprend à ce sujet la distinction aristotélicienne entre la poièsis, "une production qui a vocation à servir, apprendre les mathématiques pour devenir professeur, ingénieur ou comptable", et la praxis, "qui ne vise qu’à se déployer elle‐même – apprendre les mathématiques et par elles accroître sa puissance de comprendre, donc les apprendre pour rien". A cette aune, il se demande si les métiers de l’éducation ne sont pas en train "de jaunir comme de vieilles photographies (...) au moment même où rien ne paraît plus essentiel que leur professionnalisation" (dans un souci d’efficacité immédiate, ndlr). Il ne faudrait pas oublier que "éducation" désigne aussi un "bien en soi" et ne se limite pas à "la fabrique d’opérateurs socioéconomiques".

La logique de marché l’emporte pourtant comme l’analyse Aziz Jellab (IGERS) : "Si la loi du 8 juillet 2013 a confié au service public de l’éducation la mission de veiller à ’la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement’, il faut bien prendre acte du fait que celle-ci est loin d’être partout effective". Il met en cause "le manque de lisibilité politique qui permettrait de donner du sens à la mixité sociale et scolaire" et "l’emprise exercée par les diplômes qui conduit les familles les plus favorisées (...) à convoiter les meilleurs établissements (...). Le primat des intérêts particuliers sur l’intérêt général donne à l’école l’apparence d’une institution fonctionnant comme un marché, et rend difficile la mise en place d’une mixité sociale et scolaire." Il ajoute que "40 % des collèges proposent une classe bilangue et que seuls 15 % des élèves de 6e en bénéficient". Agnès Van Zanten souligne que "la diffusion de produits et services éducatifs payants" est associée à "l’allongement des parcours d’études pour lesquels les usagers n’ont pas l’impression de bénéficier d’un accompagnement étatique suffisant. S’y ajoute le développement d’une intense compétition scolaire dans un système d’enseignement massifié, mais filtrant encore l’accès aux places les plus convoitées."

Jacques Attali met en garde, "un bon système peut se défaire très vite. Il y avait un bon système en Suède, qui s’est défait très vite, justement parce qu’on a essayé de le privatiser. Cela s’est soldé par un échec. C’est très facile de défaire un bon système mais il n’y a pas de système idéal".

A noter encore dans ce numéro la description par Anne‐Claudine Oller (UPEC) du marché du coaching scolaire dont la constitution a été "rendue possible par l’État" faute d’investissement dans l’orientation, l’analyse par Philippe Bongrand de l’évolution de l’instruction en famille qui, pour être acceptée par l’administration, doit à présent être présentée "dans les termes d’une IEF subie et non choisie", et enfin une longue interview d’Agnès Perrin‐Turenne, qui a été enseignante et personnel de direction dans le public avant d’être cadre chez Acadomia et directrice d’un établissement hors-contrat...

Administration & Education, revue de l’AFAE, n° 180, "La Marchandisation de l’éducation", 21€

Extrait de touteduc.fr du 17.12.23

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