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Yazid Sabeg : Les ZEP sont l’exemple des insuffisances en matière d’égalité

28 juin 2006

Extrait de « Libération » du 27.06.06 : L’égalité et l’équité délaissées

Les responsables politiques ne se donnent pas les moyens de répondre à ces aspirations.

Notre classe politique a-t-elle encore quelque chose à dire sur l’égalité ? Se projette-t-elle dans un véritable projet égalitaire ? L’actualité de ce début d’année et le contenu du débat public nous permettent d’en douter.
On a trop parlé de l’angoisse générale de la jeunesse pour en rajouter. Les enfants de l’immigration vivent depuis longtemps déjà dans l’inquiétude du lendemain ; c’est aujourd’hui au tour de ceux des classes moyennes inscrits à l’université, plutôt épargnés jusqu’ici, d’être touchés. Après la crise des banlieues, celle du CPE a montré la vitesse avec laquelle l’anxiété se généralise.
Cette tache d’huile n’est pas prête à se diluer, profondément ancrée dans la triple facture que subit la France, à la fois territoriale (entre zones de relégation et centres-ville), générationnelle (entre jeunes et moins jeunes), sociale (entre ceux qui veulent ou peuvent entrer dans l’emploi, et ceux qui n’y accèdent pas ou redoutent d’en être exclus).

Lorsque l’on tente de relancer un tant soit peu le brassage égalitaire, il est frappant de voir que ce n’est plus le contenu de telle ou telle réforme qui est discuté, mais la possibilité même d’atteindre l’égalité par les voies actuelles qui est en cause. C’est sans doute cette incapacité à résoudre les conditions réelles de chacun qui explique, par compensation, la grande fuite en avant vers une politique de colifichets et de reconnaissance symbolique tous azimuts (des minorités, des discriminations, de l’histoire). Ce sursis ne durera pas : « La démocratie, disait Gambetta, ce n’est pas de reconnaître des égaux, mais d’en faire. » En fait, les conditions de réalisation de l’égalité ne sont pas réunies en raison d’au moins trois cassures, qu’il faut passer brièvement en revue avant d’envisager les solutions à y apporter.

D’abord, l’égalité a cessé d’être une préoccupation prioritaire du personnel politique. Malgré les déclarations de façade, l’égalité comme objectif n’est plus à l’ordre du jour, c’est plutôt l’égalité comme mode et moyen d’action qui mobilise les efforts. On ne parle plus de réaliser l’égalité, mais de respecter scrupuleusement l’égalité de traitement, et d’éviter le deux poids, deux mesures, qui ne dit rien de la façon dont on doit traiter les problèmes, pour s’en tenir au fait qu’ils doivent tous être traités de même. Bel exemple du rétrécissement de notre ambition.

Ensuite, la crise de légitimité des responsables politiques. Le sentiment émerge que ceux qui ont à traiter des questions d’égalité ne peuvent penser et agir avec impartialité, tout simplement parce qu’ils n’ont pas eu à subir les discriminations contre lesquelles ils disent lutter et ne sont pas issus des populations qu’ils affectent d’aider.

La société française doute même, et plus que jamais, de leur capacité à s’élever au niveau de l’intérêt général. Le rappel de la laïcité face au foulard a constitué une sorte de révélateur. L’essentialisation de cette question est apparue à beaucoup comme un artifice commode pour mieux occulter et différer le traitement du malaise social qui lui est associé, donnant ainsi l’impression que les principes républicains sont des outils dont on se sert pour orienter l’opinion publique sur des pistes jugées moins dangereuses politiquement.

Enfin, et c’est le plus grave, ceux qui se révoltent n’ont guère d’alternative à proposer. L’élite intellectuelle reste sans voix. Pas plus les révoltés de mars que ceux de novembre n’ont su formuler la moindre proposition. Comment, en effet, espérer nouer un quelconque dialogue entre des manifestants qui n’ont pas grand-chose à dire et des responsables politiques que plus personne n’écoute ?

On ne peut qu’assister impuissant à la dislocation du message universaliste de l’égalité, sans que le traitement équitable qui devrait logiquement s’y substituer ne soit assumé. La faiblesse du traitement différencié accordé aux ZEP et son maigre résultat n’en est qu’un exemple.

L’utopie de l’égalité se tient pourtant bel et bien à notre portée. Elle dépasse le clivage de droite et gauche, et je crois que l’on peut s’accorder sur deux ou trois points très simples pour engager un programme d’équité. D’abord, un effort d’observation. Il faudra bien regarder la France de 2006 avec les catégories des Trente Glorieuses. La France doit se donner les moyens de connaître qui est discriminé, en quelle proportion, que ce soit en fonction du sexe, de l’âge, ou de l’origine visible. Deuxième condition : passer d’une logique de moyen à une logique de résultat, en se fixant les objectifs que l’on souhaite atteindre, et en les évaluant. Troisièmement, viser l’égalité comme fin, et non pas uniquement comme moyen. Force est de le constater : le traitement égal des individus n’est pas la bonne méthode pour réaliser l’égalité. Le traitement inégal, non plus d’ailleurs. C’est le traitement équitable qui est juste. Etre fair, comme disent les Anglais, et tenir compte des différences des situations.

Cette triple exigence ¬ observation, traitement équitable, évaluation des résultats ¬ illustre en creux la nécessité de mettre en place un appareil statistique sous une forme ou sous une autre. Certaines données existent déjà, d’autres sont encore à produire, et surtout à encadrer dans un dispositif contraignant en plusieurs étapes (diagnostic, plan d’action, objectifs) soutenu par la loi, et assorti de sanctions plus fortes qu’aujourd’hui. En attendant de voir réalisée ici-bas l’égalité abstraite et idéale, surveillons déjà le respect de la diversité, qui en est pour ainsi dire la forme sensible et immédiate.
De tout cela, on peut discuter. On aimerait le faire.

Mais on ne peut que déplorer le mutisme total de notre élite sur le sujet. Personne pour affirmer publiquement l’importance de l’enjeu. Pas un candidat à la candidature qui n’ait le courage d’y voir la question nationale de demain. On déplore le manque de projets pour la France : nous en avons un en or massif, qui fait appel à tous les grands classiques du projet républicain, mais personne ne s’en saisit. Les violences urbaines de l’hiver dernier ont pourtant été une sérieuse piqûre de rappel. Elles devaient aboutir à un grand plan de l’égalité des chances, dont on sait ce qu’il est devenu.

Moins d’un an après, il n’en reste déjà pas grand-chose. La diversité n’est traitée en France que de manière symbolique et marginale. La question surgit de temps à autre, comme un spasme nerveux que le pays ne peut occulter, mais qui ne prend pas vraiment et regagne aussitôt l’arrière-cour de la conscience publique.
Comment expliquer ces réticences ? Il faut se rendre à l’évidence : si notre élite politique n’a rien à dire sur ce sujet, c’est peut-être qu’elle s’en fout. L’égalité et l’équité ne sont pas des sujets assez spectaculaires. Tant que les voitures ne brûlent pas, ce n’est même pas télégénique.

Mal adapté aussi au format des interventions médiatiques et aux rituels des petites phrases, c’est un sujet bien trop vaste, trop riche, qui charrie trop d’enjeux, et porte en lui trop de responsabilités futures pour le personnel aux affaires. Sur ce dernier point au moins, l’avenir pourrait bien hélas lui donner raison.

Yazid Sabeg, président du conseil d’administration de CS Communication et Systèmes

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