Voir à gauche les mots-clés liés à cet article
Extraits du site de l’Inter réseau DSU, le 28.02.07 : Appel à réflexion pour l’action
Les émeutes urbaines survenues en France à l’automne 2005, du fait de leur durée, du nombre de quartiers concernés, et de l’ampleur des dégâts causés ont constitué, pour notre pays, un événement social et politique d’une portée considérable.
Sur le moment elles ont provoqué des prises de position multiples de la part de nombreux acteurs mais le secteur du travail social, bien qu’étant à l’évidence concerné, s’est peu exprimé à leur sujet.
Depuis, de nombreux articles, ouvrages et colloques se sont efforcés d’analyser ces nuits de violence mais sans toutefois, dans la plupart des cas, aller au-delà d’explications liées à la situation sociale difficile des quartiers et aux événements survenus à Clichy s/bois.
Cependant, en ce qui nous concerne, et sans naturellement nier la valeur de ces analyses, il ne nous apparaît plus possible d’appréhender ces évènements sans procéder à la « révolution réaliste » souhaité par Antoine Garapon (1), sur les questions d’immigration et d’intégration (« Esprit » décembre 2005) qui invite à dire « toutes les choses », sans excès ni faux-semblants. Comme Sebastian Roché nous y invite également dans son dernier ouvrage, « Le frisson de l’émeute (2), nous considérons donc que la « question ethnique » ne doit plus être escamotée si nous voulons vraiment connaître et comprendre la société dans laquelle nous vivons et agissons.
Il y a aujourd’hui, dans notre pays, une fracture urbaine qui n’est plus seulement une fracture sociale mais aussi, de plus en plus, une fracture ethnique, culturelle et religieuse qui témoigne, à l’évidence, d’une crise profonde de ce que l’on continue d’appeler communément notre « modèle républicain d’intégration ». La montée continue des violences à l’égard des personnes et certains événements de l’actualité récente nous conduiraient même à penser que, dans certains cas, nous sommes, peut être, devant les prémisses d’une forme de régression civilisationnelle vers la barbarie.
Le défi sans précédent auquel nous sommes confrontés, et qui nous a été révélé au grand jour par ces émeutes, est d’avoir à faire société avec les enfants descendants des anciennes colonies et à poursuivre, avec ces français issus de l’immigration la plus récente, la construction d’une société démocratique appelée, inexorablement, à devenir de plus en plus diverse et métissée dans un contexte d’évolution des relations nord/sud qui rendra, vraisemblablement, de plus en plus difficile la maîtrise des flux migratoires.
Dans ce contexte la « communauté nationale » et les « communautés de vie », à tous les niveaux, doivent être appréhendées comme des communautés hétérogènes, mixtes et diversifiées. Il faut refuser l’idée d’une société « républicaine » normalisée qui, méconnaissant les différences sous prétexte d’égalité, ne laisserait subsister que des collections d’individus sans appartenance et des groupes ethniques isolés exaltant leurs différences sous prétexte de liberté.
C’est cette problématique communautaire, mettant en avant les communautés de vie et de quartier, qui peut être le lieu privilégié de l’intégration des différences dès lors que les populations concernées sont incitées à s’engager, ensemble, dans la voie d’un développement social commun plutôt que d’avoir à subir les contraintes et les dommages d’une régression communautariste.
C’est pourquoi nous lançons donc cet « appel à réflexion », qui propose au secteur social de revisiter sereinement « la question communautaire » dans le cadre, intimement lié, du développement social et du travail social.
Travail social communautaire : « empowerment », développement social local, communautaire, ingénierie territoriale
Le travail social communautaire, peu développé en France, mais mieux connu dans le monde anglo-saxon, en Amérique du sud et dans des pays émergeants considère que les hommes ne vivent et ne se développent qu’en « communautés ». Il repose sur l’idée que le fait communautaire qui relie, naturellement, un groupe de personnes entre elles, sur un plan territorial (ou [et] même ethnique, culturel ou religieux), peut nourrir une certaine capacité collective d’initiatives qui seront bénéfiques à chacune d’entre elle. Il vise à renforcer le capital social du groupe et, par cela même, celui de chacun de ses membres qui seront alors moins isolés et plus solidaires entre eux, notamment pour accéder au logement, à l’emploi et, globalement, à une qualité de vie plus enrichissante.
Dans les quartiers en difficulté, le travail social communautaire, nous semblerait donc pouvoir venir utilement compléter le travail social individuel classique qui peut présenter le risque d’enfermer les individus les plus faibles dans des logiques d’assistanat et de les laisser démunis face aux multiples difficultés qui les submergent. Elus locaux, décideurs de terrain et nombre d’acteurs sociaux, souvent découragés, pourraient ainsi reprendre confiance dans les politiques publiques et mieux résister à certaines dérives de repli dans lesquelles tendent à sombrer les individus et les groupes les plus en difficulté.
Le concept d’ « empowerment », employé depuis des décennies aux Etats-Unis et émergeant récemment en France, qui sous-tend un rôle actif des populations dans les processus d’action collective au niveau local, peut être rapproché de celui de « développement social local », notamment dans les quartiers en difficulté.
Toute l’approche territoriale du développement social gagnerait à mieux intégrer le concept de développement communautaire afin de sortir du mariage entre un individualisme destructeur du lien social et des substituts abstraits d’ordre juridique, administratifs et techniques accompagnées de procédures qui ignorent les réalités humaines du développement. Par exemple, l’injonction participative, mise en œuvre sans un accompagnement suffisant des populations concernées, conduit trop souvent, sur le terrain, à des désillusions démobilisatrices.
En ce qui concerne les groupes ethniques et culturels issues de l’immigration la plus récente il nous paraît urgent de voir, concrètement, quel travail, social et éducatif, plus collectif et plus spécifique, pourrait être utilement engagé avec eux dans le cadre des valeurs républicaines qui fondent notre pacte social. Citoyenneté et appartenances communautaires ne sont pas contradictoires et doivent cesser de s’ignorer. Dans les zones de relégation, le communautarisme se construit contre la République quand celle-ci méconnaît la singularité des réalités ethniques et culturelles.
Cependant, nous n’avons pas pour autant une vision naïve de la problématique communautaire qui doit être abordée avec prudence et compétence. Il y a diverses formes de communautés, des plus archaïques aux plus modernes. On sait qu’il y a des « progressions communautaires » (la réussite économique des communautés asiatiques ou celle, plus discrète, des portugais) mais qu’il peut y avoir aussi des « régressions communautaires » (le développement de la polygamie chez les communautés africaines sahéliennes, mais aussi les situations de déshérence de certaines populations d’origine bien française tant en milieu urbain que rural).
Nous invitons le secteur social à construire une ingénierie spécifique visant à restaurer de la confiance au sein des communautés en difficulté à travers une utilisation intelligente du lien communautaire. L’amélioration du vivre ensemble passe par le renforcement du capital social des habitants ce qui implique, au niveau des territoires, un travail social, respectueux des identités, prenant en compte la problématique communautaire.
Les perspectives ouvertes par la décentralisation et les compétences transférées aux Conseils généraux et aux Conseils régionaux
Aujourd’hui, les travailleurs sociaux sont assez largement absents des actions développées au sein des programmes de développement social territorial relevant de la politique de la ville et de l’aménagement du territoire. En effet, les structures qui réalisent ces programmes font peu appel à leurs compétences cependant que les services et les établissements qui les emploient demeurent le plus souvent à l’écart de ces programmes. Une explication à cette situation est certainement liée au premier volet de la décentralisation qui a conduit à la reprise, par les Conseils généraux, de l’essentiel du travail social classique dont les aspects les plus administratifs, pour des raisons de maîtrise budgétaire, se sont trouvés renforcés.
Toutefois, aujourd’hui, le deuxième volet de la décentralisation, qui a renforcé les prérogatives sociales des Collectivités territoriales, pourrait contribuer à réconcilier le travail social classique avec les actions relevant de la politique de la ville, du développement local en permettant, à un nombre plus important de professionnels, issus de ce secteur, de réelles possibilités d’intervention en matière de travail social communautaire dans le cadre du développement social territorial.
La question est notamment posée de voir comment réinscrire, et développer, dans les formations initiales en travail social et dans celles « tout au long de la vie » des approches plus collectives et plus communautaires, de développement social, dont les quartiers en difficulté et leurs habitants ont besoin. Des pratiques innovantes se sont développées sur les territoires qu’il faudrait maintenant rassembler et capitaliser.
Ces derniers mois plusieurs colloques, ou journées d’étude, ont été organisés préconisant des approches plus collectives du travail social. Ce fut notamment le cas lors de la journée organisée par l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales), en mars 2006, au Ministère des affaires sociales, sur le thème « l’intervention sociale, un travail de proximité » au cours de laquelle il a été souhaité que le travail social individuel puisse s’articuler avec un travail collectif prenant appui sur les solidarités de proximité. Le président du Conseil Général de Meurthe-et-Moselle, Michel Dinet, aujourd’hui président de l’ODAS (Observatoire de l’action sociale décentralisée), a soutenu cette démarche lorsqu’il est intervenu pour ouvrir l’une des table ronde de ce colloque. D’autres manifestations organisées dans le cadre de l’ARF (Association des Régions de France), ou à l’initiative des réseaux du développement social territorial, se sont également inscrites dans cette perspective.
Les perspectives qui ont été ainsi tracées devraient maintenant inciter les institutions, réseaux et acteurs sociaux, concernés par la formation des travailleurs sociaux, à se saisir de la problématique du travail social communautaire et du développement social local telle que nous l’avons esquissé.
Propositions pour donner une suite concrète à cet appel
Pour examiner rapidement les suites concrètes à donner à cet appel nous proposons qu’une rencontre entre les réseaux les plus directement intéressés par notre démarche puisse se tenir dans les prochaines semaines.
Cette rencontre pourrait avoir pour objectif principal la création d’un groupe de recherche action, inter- réseaux, visant à constituer un corpus de connaissances sur le travail social et le développement communautaire et à proposer des modalités de développement de cette approche.
Lire les commentaires