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L’école maternelle de la performance enfantine, Ghislain Leroy (Peter Lang, 2020). La recherche actuelle de performance s’avère-t-elle défavorable aux enfants de milieu populaire ?

15 février 2020

Additif du 27.05.20

Ghislain Leroy : L’école maternelle, une école de la performance ?
"L’école maternelle est aujourd’hui à l’image de la société contemporaine : en quête de performance et d’optimisation du temps, hautement concurrentielle et âpre pour les laissés-pour-compte". "L’école maternelle de la performance enfantine" (Edition Peter Lang), l’ouvrage de Ghislain Leroy (université de Rennes 2), est une charge et va faire grincer des dents. Basé sur l’observation croisée des rapports d’inspection et des pratiques de classe, il montre comment l’école maternelle est passée de l’Education nouvelle au mythe de la performance, rhabillé Montessori ou pas. Une évolution inexorable, vécue par les professeurs des écoles et non voulue par eux, qui laisse de coté ceux qui n’arrivent pas à suivre le rythme, les plus faibles, les plus pauvres. Si ce livre réquisitoire peut parfois paraitre excessif, il interroge fortement une évolution qui semble inexorable tant elle est dans l’air du temps.

" Nous défendons l’hypothèse qu’après l’école maternelle visant la productivité enfantine, puis celle visant son expressivité (Plaisance, 1986), est apparue une école maternelle de la performance enfantine... l’évocation d’une « école maternelle de la performance enfantine » vise principalement à rendre compte de deux de ses caractéristiques, qui nous semblent indissociables. La première, c’est l’objectif que les apprentissages soient les plus nombreux possibles, le plus vite possible. Le temps de l’école maternelle contemporaine est celui d’une urgence. Elle s’explique par une recherche de rentabilité que l’on peut corréler à l’influence et aux effets de la nouvelle gestion publique. Mais cette urgence s’explique également (c’est lié) par le développement croissant de logiques concurrentielles au sein du système éducatif, dans la société et donc de plus en plus dans les espaces de la socialisation enfantine... Dans l’école maternelle de la performance enfantine, les meilleurs (souvent, les mieux dotés par leur milieu d’origine ; ils ont déjà une longueur d’avance dans l’initiation à cet ethos contemporain) font leurs armes et marquent leur avance dans la compétition sociale. Quant aux plus faibles, ils font progressivement l’amère expérience de leur statut d’outsider".

L’ouvrage de Ghislain Leroy (MCF Rennes 2) analyse l’évolution de l’école maternelle , du vent de liberté de l’Education nouvelle à la mise en place, dans le cadre du Nouveau management public, d’une école centrée sur la performance, les résultats et le travail scolaire. Basé sur l’analyse des programmes mais aussi des rapports d’inspection et de nombreuses observations en classe, l’ouvrage montre comment les dispositifs scolaires, comme les ateliers, mettent à l’écart, dès le petite section, certains élèves.

Si le nombre d’observations faites en classe reste trop faible pour une généralisation, la démonstration appuyée sur les programmes et les rapports d’inspection est bien menée. Commencée il y a plusieurs décennies, cette évolution est-elle vraiment remise en question par la montée des pédagogies alternatives, comme Montessori ? Ghislain Leroy ne le croit pas. Il se livre d’ailleurs à un démontage en règle des pratiques montessoriennes telles qu’elles sont appliquées dans certaines écoles. Sous prétexte de liberté enfantine et de permettre à chaque enfant d’exprimer son potentiel personnel, il montre comment ces écoles aggravent les inégalités et assument plus facilement la mise à l’écart des élèves les plus faibles. Dans cet entretien avec le Café pédagogique, il situe cette évolution dans un contexte social global. Pas question de stigmatiser les professeurs des écoles : ils agissent dans une société qui semble convertie et en attente de performance. Quel qu’en soit le prix.

Vous retracez l’histoire de l’école maternelle depuis les années 1970 que vous présentez comme celles de l’Education nouvelle. Mais avait-elle vraiment conquis l’école maternelle ?

L’Education nouvelle est une galaxie d’auteurs du début du 20ème siècle qui ont apporté un renouveau pédagogique en défendant une éducation moins coercitive, favorisant l’apprentissage par les sens et insistant sur la communauté (Freinet). On pourrait aussi citer Decroly ou Montessori. Antoine Prost dit qu’elle a marqué l’école maternelle mais la question reste à travailler.

Vous voyez un tournant vers 1986 ou 1995... Comment l’expliquer ?

Le tournant est davantage entre 1977 et 1986, avec Chevènement comme ministre de l’éducation nationale. Les années 1980 sont cruciales et il y a toute une série de facteurs. On peut citer la publication des travaux de Vygotsky ou ceux de Bruner qui portent un coup réel et fondé au spontanéisme qui prévalait dans les années 1970. Dans l’opinion publique on assiste à une critique des approches libertaires. En ce sens Chevènement est emblématique de cette période et d’un retour de l’autorité y compris dans la littérature éducative.

Cette époque est aussi celle d’une transformation des politiques publiques avec l’idée de performance, un controle plus sévère des élèves et des enseignants dans le contexte de la nouvelle politique publique. Dans ce contexte on assiste à des changements curriculaires. Par exemple dans les programmes de 1995, le professeur des écoles est présneté comme un professionnel en permanence en recherche d’amélioration personnelle. On passe d’une logique de qualification à une logique de compétences.

Comment se traduit cette nouvelle politique ?

Deux tableaux du livre , issus de l’analyse de rapports d’inspection, montrent à quel point les pratiques attendues des enseignants ont changé. Dans les années 1970 les pratiques les plus répandues sont le chant, le dessin puis le langage. Dans les années 2000 ce sont le langage, la lecture et les maths. On a vu disparaitre l’art sophistiqué du chant, les fours à émaux , la broderie... On voit apparaitre des disciplines inventées comme la phonologie. Mais ce ne sont pas que des évolutions des disciplines. Le livre montre aussi comment les comportements émotionnels changent. La joie était mise en valeur dans les rapports d’inspection des années 1970. Aujourd’hui c’est le plaisir de travailler. Les émotions légitimes ne sont plus les mêmes. Le rapport au corps a chnagé. On ne fabrique pas le même enfant.

Il ne reste plus rien de l’Education nouvelle ?

Il reste des choses. Mais le contexte est à la normalisation scolaire. Faire des évaluations en maternelle n’apparait plus comme bizarre.

Votre livre montre une école maternelle excluante. Mais on nous dit que développer le langage oral, la lecture, le calcul à l’école maternelle c’est justement dans l’intérêt des enfants défavorisés. La scolarisation de l’école maternelle les aide ou pas ?

Des spécialistes de l’école maternelle nous disent qu’ily a des pratiques ordinaires qui ne sont pas inclusives vis à vis des plus faibles dans les écoles maternelles. Quand on voit le rythme très intense des apprentissages, les attentes implicites, on se dit que ces élèves ne sont pas au centre de la classe. Force est de constater que des enfants sont confrontés tous les jours à des activités qui ne les mettent pas en situation de progresser.

Il ne s’agit pas pour moi de critiquer les professeurs des écoles. Ils ne sont pas responsables de ces pratiques qui résultent de formations et de programmes. Les ateliers par exemple, tels qu’ils sont mis en oeuvre, sont souvent excluants. Et ils sont incontournables. J’ai étudié de nombreux rapports d’inspection. C’est rare qu’un inspecteur donne des conseils pour la prise en charge des enfants les plus faibles. Tout cela contribue à changer la professionnalité des enseignants.

On peut élargir la réflexion. Derrière les programmes ily a des changements sociaux profonds qu’on retrouve dans d’autres secteurs. Le métier de professeur des écoles a lui aussi été conquis par l’évaluation, la recherche de compétences, la responsabilisation individuelle, toutes évolutions résultant du New Public Management. La maternelle suit la société.

On assiste maintenant à un retour à Montessori ou à d’autres pédagogies alternatives. Cela n’attaque pas l’école de la performance ?

Ces pédagogies correspondent à des pratiques variées. On peut dire que l’essor du Montessorisme actuellement ne remet pas en question l’école de la performance. Elle peut même être un cheval de Troie pour elle. Dans le livre je montre comment certaines pratiques des écoles montessoriennes renforcent l’école de la performance. On retrouve chez C Alvarez et ceux qui s’en inspirent l’idée que la méthode Montessori va apprendre à lire plus tôt et à être plus performant. Ces écoles par exemple invitent l’enfant à travailler seul avec un contrôle a posteriori. De fait on ne s’occupe que de quelques enfants qui vont vers les activités et ont envie d’apprendre.

Peut on dire qu’on assiste à une accélération de l’école de la performance avec JM Blanquer ?

Comme Dgesco JM BLanquer avait déjà mis l’accent sur les fondamentaux et la maitrise des émotions. Actuellement il a rendu l’école maternelle obligatoire et plus compétitrice.

Propos recueillis par François Jarraud

Ghislain Leroy, L’école maternelle de la performance enfantine, Peter Lang, ISBN 978-2-8076-1353-9,

Sommaire

Leroy Comment Montessori vient à l’école maternelle

Extrait de cafepedagogique.net du 27.05.20

 

L’école maternelle de la performance enfantine
Ghislain Leroy

Préface d’Éric Plaisance
Collections : Petite enfance et éducation / Early childhood and education
Edit. Peter Lang ; 2020
ISBN : 978-2-8076-1353-9

Que cherche-t-on à faire des enfants dans l’école maternelle d’aujourd’hui ? Quelles sont les caractéristiques actuelles de cette instance de socialisation ? En posant ces questions, Ghislain Leroy fait le choix original de reprendre le questionnement des sociologues pionniers de l’école maternelle (Dannepond, Plaisance, Chamboredon et Prévot) pour l’appliquer à l’époque contemporaine.

Après avoir visé les connaissances, l’effort et l’application (années 1950), puis l’expressivité enfantine (années 1960-1970), l’école maternelle serait aujourd’hui régie par une recherche de performance. Les nouvelles politiques publiques (new public management) ont entraîné un profond remaniement des programmes et de la professionnalité des professeur(e)s des écoles. Ces nouvelles exigences de rentabilité scolaire ont modifié les pratiques et choix pédagogiques ordinaires. Elles ont donné naissance à de nouvelles exigences disciplinaires, cognitives, émotionnelles et de maîtrise corporelle. Elles sont autant de déclinaisons d’un nouvel idéal : l’enfant performant car hautement autonome et responsable de lui-même.

Articulant les sociologies de l’enfance et des enfants à la sociologie des inégalités socio-scolaires, l’auteur montre aussi combien ces nouvelles attentes s’avèrent défavorables aux enfants de milieu populaire. Elles présupposent des comportements qu’ils n’ont pas appris dans leur milieu d’origine. Ils sont les outsiders de cette temporalité de l’urgence. L’étude se clôt par une analyse du succès récent de la pédagogie Montessori en maternelle, qui ne paraît pas remettre en cause ces définitions de l’enfance actuellement dominantes, bien au contraire.

Extrait de peterlang.com

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