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A quoi sert un « préfet délégué pour l’égalité des chances » ?

9 novembre 2006

Extrait de « La Lettre de la cohésion sociale » n° 20, du 08.11.06 : Trois questions à Alain Zabulon

Trois questions à Alain Zabulon, préfet délégué pour l’égalité des chances en Essonne

Six préfets délégués pour l’égalité des chances ont été nommés en début d’année dans les Bouches-du Rhône, l’Essonne, le Nord, la Seine-st-Denis, le Rhône et le Val d’Oise. Leur mission ? « Donner du contenu » au concept d’égalité des chances. Sept mois après, qu’en est-il ?

Vous avez été nommé par décret du 22 décembre 2005 préfèt délégué à l’égalité des chances dans le département de l’Essonne. Cette mission qui vous a été confiée répond-elle à un désir de vous investir dans ce champ particulier qu’est l’égalité des chances ?

Alain Zabulon : Oui tout à fait . Dès que ces postes ont été crées, j’ai été fortement intéressé. Il se trouve qu’il y a une dizaine d’années j’étais sous préfet chargé de la politique de la ville en Haute Garonne. J’y ai découvert la France des quartiers sensibles que je préfère appeler quartiers populaires. Ces trois années de séjour à Toulouse ont forgé en moi la conviction que le problème de la prise en compte de la nouvelle diversité de la société française, malheureusement trop concentrée dans des quartiers défavorisés, constituait le grand défi de la France du vingt et unième siècle. Dix ans plus tard, me voici au pied des tours des cités populaires de l’Essonne avec des moyens renforcés pour "donner plus de chance, à l’égalité des chances ».

Pour vous, concrètement, c’est quoi l’égalité des chances ?

AZ : Permettez-moi d’abord de relever ce paradoxe : la France pays des droits de l’homme et de l’égalité se voit contrainte à la suite des évènements que l’on sait, de rappeler de manière solennelle que l’égalité des chances est un des piliers de notre pacte républicain. On prend même la peine de nommer une brigade de missi dominici de l’égalité des chances dont je fais partie. Le parlement vote une loi sur l’égalité des chances, et le gouvernement en fait une priorité de son action. C’est bien la preuve que cette belle idée républicaine a été sérieusement malmenée par deux ou trois décennies de mutations sociales, économiques, migratoires sur fond de mondialisation.

Pour répondre à votre question, plutôt que de théoriser sur ce concept, je vais vous raconter deux histoires vécues :

 Mourad est un lycéen issu d’un milieu plutôt défavorisé ; son père est au chômage et sa mère essaie de joindre les deux bouts en faisant quelques heures de ménage. Elle a hâte que Mourad ait passé son bac afin qu’il fasse des études ,courtes si possible, pour aller rapidement travailler et aider sa famille.

 Mourad est un excellent élève qui tourne à 14 ou 15 de moyenne et ses professeurs le poussent à envisager des études longues. Par chance son lycée a passé une convention avec l’école Polytechnique au terme de laquelle de jeunes polytechniciens acceptent de devenir les tuteurs de lycéens désireux de réussir leur vie mais qui ne trouvent pas chez eux l’appui, les conseils, ou la motivation que peut susciter l’exemple stimulant d’un père chef d’entreprise ou d’un grand frère ingénieur commercial.

Au programme tous les mercredis après midi sur le campus de Polytechnique : visites d’entreprises, revues de presse, conférences sur le monde contemporain, visites de musées, sorties au théâtre, informations sur les grandes écoles . Mourad découvre un monde qui lui était totalement étranger et auquel il n’aurait jamais accédé par son milieu familial.

L’opération égalité des chances dont il bénéficie s’appelle « une grande école pourquoi pas moi ? » Le but est d’inciter des lycéens issus de milieux modestes et par ailleurs bons élèves à élever leur niveau d’ambition alors même que leur milieu d’origine les aurait plutôt incités à se censurer. Aux dernières nouvelles, Mourad est allé se renseigner sur les conditions d’accès aux grandes écoles d’ingénieurs. Il avait le talent, il lui manquait l’envie. Un polytechnicien à peine plus âgé que lui la lui a donné.

 Laurent habite une cité sensible, il a un diplôme de l’enseignement supérieur. Il s’épuise à envoyer des centaines de CV à des entreprises qui ne lui répondent jamais. Il faut dire qu’avec l’adresse figurant sur son CV, celle d’un des quartiers les plus chauds de l’Essonne, cela ne lui facilite pas la tâche.

Un peu désabusé, il finit par pousser, la porte de la mission locale de sa commune qui a créé avec l’aide de l’Etat un club de placement de jeunes diplômés.
Celui-ci le prend en charge et lui fait prendre conscience de ce qui lui manque :

son CV est mal présenté, il ne sait pas se mettre en valeur, il se présente aux rares rendez vous qu’il décroche, en jogging avec son lecteur MP3 autour du cou, bref Laurent a tout faux, il n’ a pas les bons codes d’entrée !

Pendant plusieurs semaines, son référent de mission locale le prend en main, le motive, le conseille, y compris sur le look et une fois qu’il est prêt et regonflé à bloc, lui ouvre l’accès au réseau d’entreprises que la mission locale a su se constituer au fil du temps.

Laurent est piloté, poussé, coaché jusqu’à l’entretien d’embauche au terme duquel, un directeur des ressources humaines finit par lui dire : « c’est vous qu’il me faut ». Aux dernières nouvelles, Laurent vient de signer son CDI et va s’acheter sa première voiture.

Deux histoires, deux parcours et une même réponse : recréer l’égalité des chances

C’est à dire donner à nos concitoyens les moins bien armés pour affronter le monde du travail, ce qui leur manque, les codes sociaux et le carnet d’adresses que leur milieu familial ne leur donne pas.

En qualité de préfet délégué à l’égalité des chances, ma priorité est de développer des dispositifs de prise en charge individuelle des personnes pour les aider dans leur parcours d’insertion. Je vous en ai présenté deux, il faudrait les multiplier par cent !

L’égalité des chances c’est redonner sa chance à l’égalité

Vous êtes en poste depuis 9 mois. Avez-vous déjà pu mettre en place des actions concrètes ? Lesquelles ? De quels moyens (financiers et humains) disposez-vous pour le faire ?

- A.Z : Mes premières priorités ont été les suivantes :

 1°) : remobiliser les partenaires de la politique de la ville que sont, les collectivités locales, les services de l’Etat, les associations, les entreprises. Non pas qu’ils se soient assoupis avant mon arrivée, un tel propos serait à la fois injuste et vaniteux, je veux dire par là que j’ai senti que l’annonce de l’arrivée d’un préfet délégué pour l’égalité des chances suscitait une forte attente teintée de scepticisme.

A moi de démontrer que cette nouveauté n’était pas un gadget ou un effet d’annonce.

J’ai lancé une série de rencontres et de visites de terrain pour découvrir tant les partenaires que les territoires, en essayant d’être à l’écoute, je dirais même à l’affût des initiatives nouvelles et intelligentes, qu’il faut soutenir et aider à se développer.
En huit mois, j’ai rencontré au moins à trois reprises les quelque trois cents associations de quartiers qui quotidiennement sont confrontées une réalité sociale difficile qu’ils s’efforcent d’améliorer par des actions dans différents domaines que sont le sport, la culture, l’insertion, l’alphabétisation, la prévention de la délinquance.

Mon message a été de leur dire : l’Etat a fortement augmenté ses moyens financiers sur la politique de la ville (j’y reviendrai tout à l’heure), à vous de vous en servir pour contribuer à nos côtés à la réintégration des quartiers difficiles dans le cœur des villes.
Pour les y aider, nous avons mis en place un plan de formation avec le concours du centre de ressources de la politique de la ville. Ma volonté est de créer une animation continue de ce réseau en faisant passer le message que le préfet délégué n’est pas un bailleur de fonds qui gère passivement un guichet, mais le représentant d’un état qui pilote en partenariat avec les élus une action globale sur un territoire.

 2°) j’ai mis un coup d’accélérateur sur quelques programmes prioritaires tels que la rénovation urbaine ou la réussite éducative.

Sur le premier, je me suis positionné en facilitateur pour aider les collectivités à maîtriser les procédures de l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine, dont je tiens à saluer au passage la forte montée en puissance et l’engagement en faveur des quartiers dégradés de l’Essonne.

Quinze quartiers concernés en Essonne, 4800 logements dégradés à démolir puis à reconstruire, de nouveaux équipements publics, des aménagements de voirie, voici le plan de charge jusqu’en 2011.

S’agissant de la réussite éducative, c’est à mes yeux un des programmes les plus novateurs de la politique de la ville. Il consiste à repérer dans un quartier les enfants de deux à seize ans les plus en difficulté sur le plan non seulement scolaire mais aussi social et familial, puis à faire appel à une équipe de professionnels, médecins, psychologues, éducateurs, enseignants, travailleurs sociaux pour aider ces enfants à surmonter leurs difficultés quelle qu’en soit la cause, en lien étroit avec les familles.

2000 enfants essonniens bénéficient de ce programme qui mobilise à ce jour quelque soixante professionnels de la sphère sociale et éducative.

 3°) je suis allé au contact des entreprises pour leur parler de la diversité, en leur faisant la démonstration suivante :

« Dans les années qui viennent, vos entreprises vont manquer de main d’œuvre à cause de l’accélération des départs à la retraite et votre pyramide des âges va se déséquilibrer. Il y a quarante ans, lorsque la France a manqué de main d’œuvre, elle est allée chercher les compétences qui lui manquaient au delà de la méditerranée. C’était une obligation, il n’y avait pas d’autre choix. Va t’on refaire la même chose aujourd’hui alors que les réserves de talents et d’énergie sont concentrées sous vos yeux de l’autre côté du périphérique, dans les quartiers populaires ou le taux de chômage reste désespérément à deux chiffres alors qu’il commence à diminuer partout ailleurs ? Mais comme il est vrai qu’aborder l’univers des cités n’est pas simple, à cause de l’image et des préjugés qu’il véhicule, il vous faut des passeurs qui eux ont le savoir faire. Vous avez besoin de jeunes immédiatement employables c’est à dire, qualifiés et motivés car vous ne souhaitez pas avoir à assumer une fonction éducative ou sociale. Banco on va relever le défi ensemble. Je vous demande juste de jouer le jeu c’est à dire d’ouvrir vos portes sans autre critère de discrimination que le talent et la compétence »

Mon rôle est de pousser, accompagner, coordonner et aussi co-financer, toutes ces initiatives

C’est à partir de constat simple que sont nées de multiples initiatives pour jeter des ponts entre le monde de l’entreprise et celui des quartiers :

La charte de la diversité signée par plusieurs centaines d’entreprises et que je m’attache à promouvoir en Essonne,

l’organisation de forum de recrutements dont je note avec satisfaction qu’ils répondent à une attente des jeunes bien sur mais aussi des entreprises, des dispositifs de parrainage et d’accompagnement à l’emploi avec le concours actif des organisations professionnelles et chambres consulaires dont les responsables essoniens sont particulièrement motivés par ce sujet.

Un coup de chapeau au passage à la SNCF qui a organisé récemment à Evry un forum de recrutement pour faire face à ses besoins d’embauche qui sont de l’ordre de 5600 par an. « Nous avons besoin de vous » a lancé la présidente de cette grande entreprise publique à quelque 500 jeunes sagement assis dans le grand gymnase d’Evry, mi-sceptiques mi-curieux et dont environ la moitié a été finalement sélectionnée pour se présenter aux tests d’embauche.

Mon rôle est de pousser, accompagner, coordonner et aussi co-financer, toutes ces initiatives, ce qui m’amène à vous dire un mot pour finir sur les moyens :

La ressource humaine tout d’abord avec un bureau de la politique de la ville en préfecture d’une qualité exceptionnelle tant sur le plan de la gestion que de la capacité à susciter des initiatives nouvelles.

Les services de l’Etat, les délégués de l’Etat et les chefs de projets dans les quartiers constituent le réseau de compétences sur le quel je m’appuie quotidiennement.

Enfin, j’ai la chance d’avoir un préfet en Essonne qui s’intéresse de très près à ces sujets et me laisse une grande marge de manœuvre pour agir

Sur le plan financier, c’est peu de dire que l’effort de l’Etat en faveur des quartiers sensibles n’a jamais été aussi important. Les crédits politique de la ville ont augmenté en Essonne de plus de 70% en 2006 ! Nous avons pu financer la totalité des actions de qualité proposées par les communes et les associations. J’ai pu aussi financer sans difficulté de nombreuses actions nouvelles en faveur de l’emploi et dont je ne vous ai exposé que quelques exemples.

Une conviction pour finir : l’intégration de la nouvelle diversité française sera facilitée en aidant fortement à l’émergence en son sein d’une classe moyenne et supérieure constituée de l’addition de réussites individuelles auxquelles les jeunes des cités pourront s’identifier.
Lorsque Mourad, Laurent et leurs copains pourront devenir ingénieurs commerciaux, directeurs de ressources humaines, commissaires de police, sans autre critère de choix que leur talent et leur compétence, on pourra enfin se passer des six spécimens que sont les préfets délégués à l’égalité des chances. Tiens, je viens de réaliser que je travaille à ma propre disparition !

Propos recueillis par Jacqueline Montali

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