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Secrets de profs : « Faire autorité passe par la sécurité que l’enseignant apporte à ses élèves » : témoignage d’un enseignant parisien

21 octobre 2015

Secrets de profs : « Faire autorité passe par la sécurité que l’enseignant apporte à ses élèves »

Julio Gascon est directeur d’une école REP (réseau d’éducation prioritaire) du 18e arrondissement de Paris. Enseignant depuis 30 ans, il n’hésite pas à jouer un peu la comédie en classe pour inciter ses élèves à l’enthousiasme.

Votre première classe…

La première année j’ai enseigné en CP et en CM1, à l’école Pershing de Versailles (78). L’instit’ de CP avec laquelle je travaillais était extraordinaire. La qualité de sa relation à la classe m’avait impressionné. Elle m’a fait découvrir la pédagogie Freinet. J’avais passé trois ans à l’Ecole normale mais ne m’étais pas senti bien formé pour autant. Tout le monde disait déjà à l’époque qu’on apprend le métier en allant dans les écoles. Les futurs enseignants en Espé aujourd’hui disent la même chose. C’est la conduite de classe qu’on a le plus besoin d’apprendre au début. Or, on n’apprend pas à conduire un groupe-classe sans élèves.

Votre conception du métier…

Je voulais être un instit moderne, pas un garde chiourme comme ceux qui m’avaient eu en charge dans ma scolarité. J’avais le souvenir de beaucoup d’ennui en primaire et d’avoir été maltraité par des profs qui nous terrorisaient, nous dressaient. J’étais au Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie (78). Quand le directeur sifflait la fin de la récré, tout le monde devait s’arrêter net. Si l’on ne s’arrêtait pas, il vous envoyait une paire de claques. L’autorité était associée à la torgnole. Je ne voulais pas de cette violence. En classe, j’étais un petit forçat. On sait tous qu’il faut faire des maths, de la lecture, etc, mais il ne suffit pas d’être actif scolairement, de gratter des kilomètres de leçons en silence, par exemple, pour apprendre. Les élèves ne sont pas des petites machines à remplir ! Pour que cela fonctionne, il faut de la relation, de la parole, du lien. Après 30 ans de métier, j’aime toujours autant voir les élèves évoluer, grandir, s’autonomiser, s’esclaffer, faire des découvertes, dépasser des difficultés.

Vos conseils pour motiver les élèves…

Il faut soigner l’activité. Convaincre les élèves que ce que je leur propose est passionnant, même quand cela ne l’est pas forcément pour eux au départ. Il faut s’exalter en classe, jouer un peu la comédie, mettre en scène les situations qu’on propose aux élèves. Pour les inciter à l’enthousiasme, on va, par exemple, créer le suspens, en lançant une formule comme : « Mais c’est très difficile, ça ! Comment va-t-on pouvoir faire ? ».
En avançant dans ce métier, j’ai pris conscience que je faisais mes préparations de classe pour trouver des moyens d’embarquer les 4 ou 5 élèves pas motivés. Je me suis toujours demandé comment faire pour que ça fonctionne, que ça les intéresse et qu’ils rentrent, eux aussi, dans tel ou tel apprentissage. Je faisais évidemment en sorte de ne pas oublier tous les autres, même si on a l’impression qu’eux progressent quelles que soient les manières de faire.

Vos trucs pour ne pas vous faire chahuter…

Cela passe par la mise en place d’une relation correcte, où l’on n’exerce pas son autoritarisme. Il faut faire en sorte que l’école ne soit jamais un décor hostile, que les élèves aient confiance en l’adulte. Faire autorité passe par la sécurité qu’apporte l’enseignant à ses élèves, sa capacité à répondre à leurs questions, leurs demandes. C’est aussi le cas dans la cour. Quand un élève vient vers vous, même pour ce qui vous semble un tout petit truc, il faut l’écouter. Cela peut lui apporter la sécurité nécessaire pour qu’il se libère des préoccupations. Evidemment, certains enfants sont dans de telles problématiques familiales, sociales, de violences, que cela ne fonctionne pas. Ils gagneraient à être pris en charge autrement, sans être tout le temps en classe.

Votre opinion sur le dispositif plus de maîtres que de classe…

C’est la deuxième meilleure idée de ces dernières années ! La première étant celle des cycles, qui contenait tout ce qu’il faut pour sortir de la logique de SA classe, avec SES élèves et SES problèmes. Avec un maître – souvent une maîtresse – supplémentaire, on peut organiser un travail en petit groupe ou travailler à deux dans la classe. J’en ai demandé un pour l’école REP où je travaille. Nous ne l’avons pas obtenu cette année, mais j’espère que ce sera le cas à la rentrée prochaine. Le maître supplémentaire permet aussi de se libérer de la trouille d’avoir un autre adulte dans la classe. C’est lié à la peur d’être jugé, parce que l’enseignant n’est jamais pleinement satisfait de ce qu’il fait. La présence d’AVS (auxiliaires de vie scolaire, NDR) dans les classes a déjà changé les choses à ce niveau-là.

Votre expérience de « l’autre adulte dans la classe » en tant que maître formateur…

Accueillir d’autres adultes dans la classe m’obligeait à penser, dès la préparation, à la manière dont j’allais expliquer pourquoi je faisais les choses de telle ou telle manière et avec tel ou tel matériel. C’est très enrichissant d’avoir à parler de ses pratiques. J’incite d’ailleurs les enseignants de mon école à aller se voir travailler les uns et les autres, voire à devenir maîtres d’accueil. S’observer et développer le travail d’équipe me paraît essentiel. Dans ce métier, être isolé, essentiellement avec des gamins toute la journée et ne pas partager des idées avec d’autres adultes, peut devenir sclérosant. Cela peut aussi engendrer et ensuite cacher une grande souffrance. J’ai pu l’observer chez certains enseignants. Elle me bouleverse. Il est très difficile de faire ce métier lorsqu’on souffre psychologiquement. Les élèves vous bouffent tout cru ! Le dispositif « plus de maitre que de classe » me semble aussi être une très bonne chose pour prévenir cette souffrance.

Votre regard sur les débutants…

J’ai envie de dire aux débutants de ne pas avoir peur, de tester des choses et qu’il est possible de révolutionner la classe ! Faute de savoir comment faire, ils sont tentés de reproduire l’école de leur enfance. Souvent les jeunes sont en confrontation avec leur groupe. Ils estiment que l’autorité se gagne comme un combat et qu’ils doivent sévir dès les premiers jours pour le gagner. J’ai aussi vu de jeunes enseignants instaurer les bons points. Ce faisant, ils se trompent sur la motivation de l’élève. Avec le bon point, on est dans le réflexe pavlovien du « je fais plaisir au maître qui va me faire plaisir ». Motiver est plus délicat et plus compliqué que ça. Des choses qui marchent une année avec une classe, ou un élève en particulier, peuvent très bien ne pas fonctionner la suivante. Le doute est le moteur de notre boulot.

Extrait de vousnousils.fr du 20.10.15 : Secrets de profs : « Faire autorité passe par la sécurité que l’enseignant apporte à ses élèves »

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