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Les conditions de vie défavorisées influent-elles sur le développement des jeunes enfants ? » de Chantal Zaouche-Gaudron (analyse de l’ouvrage)

13 novembre 2006

Extrait de « Sociétés et jeunesses en difficulté », le 13.11.06 : « Les conditions de vie défavorisées influent-elles sur le développement des jeunes enfants ? »

Élisabeth Callu analyse l’ouvrage « Les conditions de vie défavorisées influent-elles sur le développement des jeunes enfants ? » de Chantal Zaouche-Gaudron, Sociétés et jeunesses en difficulté.

« Les conditions de vie défavorisées influent-elles sur le développement des jeunes enfants ? » de Chantal Zaouche-Gaudron
Centre national de formation et d’études de la Protection judiciaire de la jeunesse

Chantal Zaouche-Gaudron, professeur de psychologie du développement à l’université de Toulouse, a participé aux travaux menés par le Conseil de l’emploi des revenus et de la cohésion sociale (CERC) sur les enfants pauvres et leur devenir, qui ont donné lieu à deux colloques en 2003 (« Les enfants pauvres en France ») et 2004 (« Le devenir des enfants de familles défavorisées en France »). Elle y était une des rares représentantes de sa discipline, peut-être la seule.
Son ouvrage Les conditions de vie défavorisées influent-elles sur le développement des jeunes enfants ? paru peu après, développe le bilan - alors esquissé - des recherches sur cette question-titre.
La dimension du livre (130 pages en format poche, dont une bibliographie de 200 titres) ne trompera pas longtemps le lecteur : son contenu est extrêmement dense et ne sacrifie pas la complexité des problèmes soulevés au choix du petit format.
Avant de présenter - dans le troisième et dernier chapitre - les résultats des travaux recensés dans la littérature francophone et anglophone, Chantal Zaouche-Gaudron entreprend d’interroger en profondeur la compréhension du lien, communément admis, entre environnement et développement de l’enfant. En effet, les travaux de recherche qui s’y intéressent établissent plus souvent des corrélations entre deux variables qu’ils n’élucident les processus par lesquels l’une agit sur l’autre, et c’est à cette question des processus, des interactions et de leur complexité que l’auteur donne ici une place centrale.

On ne s’étonnera donc pas que l’introduction situe le propos de l’ouvrage en référence à une psychologie du développement de l’enfant de type systémique, illustrée par le modèle « écologique-systémique » de Bronfenbrenner et le « modèle wallonien », qui prennent en compte le rôle des différents milieux dans lequel grandit l’enfant (famille, école, voisinage...), et pour lesquels le « sujet acteur de son développement » n’est pas identifié aux conditions de vie, aux milieux ou aux appartenances sociales et familiales.

Le premier chapitre (« L’environnement de l’enfant ») déploie les différents modèles théoriques sous-jacents aux principaux travaux de recherche sur l’emprise des facteurs environnementaux sur le développement de l’enfant. Les points de vue sont multiples. L’environnement peut ainsi être pris en considération en tant que « milieu physique » (espace de logement insuffisant, insalubrité, nuisances sonores...).
Il peut aussi être entendu comme « milieu social » au regard duquel parents et enfants se situent et évaluent leur propre situation au regard de celle de leurs voisins, de leurs collègues... : se positionner comme étant moins avantagé qu’autrui peut induire l’acceptation de moins bons résultats scolaires des enfants, ou une limitation du niveau d’aspiration à moyen terme... ou susciter la révolte. D’autres modèles abordent l’impact de cet environnement social en postulant des effets de « contagion » dans le cadre des processus de socialisation (imitation, apprentissage).

L’environnement peut également être analysé comme ressource ; les chercheurs s’intéresseront alors par exemple à l’effet des équipements de quartier sur le développement des enfants ; dans cette perspective, ils peuvent également étudier la « concurrence » pour les ressources existantes, l’adaptation des ressources aux situations des familles les plus défavorisées, ou encore leur rôle compensatoire au regard de tel ou tel facteur de risque (relations familiales conflictuelles, ressources insuffisantes, conditions de vie précaires...), en fonction de leur quantité, de leur qualité, de leur accessibilité...
Le second chapitre (« Conjugalité et parentalité ») s’intéresse au milieu familial. L’auteur y aborde à la fois les différentes formes de conjugalité et de parentalité et leurs spécificités en milieu populaire, les conséquences que peuvent avoir des conditions de vie défavorables sur ces deux dimensions de la vie familiale, et les interactions entre structure et mode de vie du couple, et conception et exercice des fonctions parentales. Si certaines caractéristiques du contexte familial peuvent jouer un rôle protecteur sur le développement de l’enfant au regard notamment de la précarité, cette dernière a fréquemment un impact démultiplié du fait qu’elle pèse à la fois sur les rapports conjugaux et parentaux qui interagissent par ailleurs.
Certains facteurs tels que la prégnance du modèle du « père pourvoyeur » dans la culture populaire, peuvent aggraver particulièrement les difficultés engendrées par le chômage et les différentes formes de précarité économique, même si l’auteur souligne qu’à l’inverse, devenir père peut - selon plusieurs études - constituer un facteur favorable pour sortir de la précarité.

Le dernier chapitre (« Développement du jeune enfant. Approche multifactorielle ») présente, comme on l’a dit plus haut, un bilan synthétique des connaissances issues de la recherche. Construire un tel bilan est une tâche particulièrement ardue du fait de la complexité des processus, de la disparité des travaux existants et de leur nombre relativement faible eu égard au nombre de questions soulevées. Le développement de l’enfant est d’abord étudié en relation avec le quartier : le logement, les activités offertes, les structures d’accueil...
L’analyse de « l’effet protecteur de risque » des structures d’accueil y est notamment développée... et intéressante pour les intervenants sociaux. Les effets du milieu familial sont ensuite présentés (impact du revenu, de la structure familiale, des pratiques éducatives...). Ici est mis en évidence le rôle joué par des variables intermédiaires telles que « l’anxiété », la « détresse psychologique », le « stress chronique », fortement corrélés à la précarité, au chômage, aux problèmes de couple, mais aussi à la perception subjective des conditions de vie (on retrouve ici la comparaison à autrui, entre autres)... Ces variables intermédiaires apparaissent jouer un rôle important dans les perturbations de l’exercice des fonctions parentales (difficulté/incapacité à s’adapter aux besoins de l’enfant, comportements punitifs excessifs...), elles-mêmes facteurs de risque.
Enfin, les « conduites spécifiques de l’enfant en termes d’affects et de cognition », sont analysées en fin de chapitre : liens entre sécurité/insécurité de l’attachement à la figure maternelle et conditions de vie, et incidences de cette sécurité/insécurité sur les comportements sociaux, les compétences sociales, les difficultés cognitives ; problèmes de développement cognitifs associés aux conditions de vie les plus défavorisées.

Comme le souligne Chantal Zaouche-Gaudron elle-même dans un récent article (1), la très grande prédominance de la littérature scientifique anglo-saxonne dans le corpus de recherche existant, qui renvoie par définition à des contextes culturels et socio-économiques différents, mais aussi à des modèles théoriques qui lui sont propres, impose une certaine prudence relativement au bilan proposé, qui « nécessite sans doute un débat épistémologique contradictoire ».
Toutefois, au-delà des résultats de recherche proprement dits, l’intérêt de ce livre est de rappeler combien il est indispensable de prendre en compte la complexité du rapport environnement/développement de l’enfant, non seulement pour comprendre mais également pour intervenir sur - voire prévenir - les problèmes de développement et les « troubles des conduites » que peuvent rencontrer les enfants. Ce travail apporte à ce sujet un éclairage salutaire auquel il est, hélas ! trop peu fait référence dans le débat en cours suscité par le rapport d’expertise de l ’INSERM récemment publié sur cette dernière question.

Elisabeth Callu

(1) Chantal Zaouche-Gaudron, « Enfants et précarités », Le journal des psychologues, n° 240, septembre 2006, p. 63-66.

Les conditions de vie défavorisées influent-elles sur le développement des jeunes enfants ? de Chantal Zaouche-Gaudron ; Ramonville Saint-Agne, Erès, 2005, 135 p., 9 euros

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