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Agir de façon cohérente pour les banlieues

8 février 2007

Extraits de « Libération » du 06.02.07 : Les banlieues ont des atouts

Il faut développer des dynamiques positives en s’appuyant sur les forces des quartiers.

Sous les projecteurs médiatiques depuis plus d’un an, les « quartiers sensibles » regroupent moins de 8 % de la population française mais concentrent nombre de problèmes. A l’approche d’échéances politiques majeures et compte tenu du silence des principaux candidats, il nous semble opportun de suggérer quelques pistes afin de mieux exploiter les atouts, bien réels, de ces territoires.

D’où part-on ? De notre point de vue, ces territoires sont caractérisés par trois logiques ségrégatives qui se renforcent l’une l’autre, chacune étant la résultante des deux autres. La ségrégation spatiale, la plus évidente, « ghettoïse » les habitants dans des espaces enclavés et sous-équipés dont il est très difficile de sortir. La ségrégation socio-économique, elle, se traduit par une pléthore de chiffres noirs.

En voici deux, essentiels : un revenu moyen inférieur de 30 % à 40 % au revenu moyen national et un taux de chômage deux fois supérieur à la moyenne nationale (et jusqu’à trois fois supérieur pour les personnes issues de l’immigration). Pauvreté et précarité intriquées obèrent les perspectives et suscitent des frustrations qui nourrissent la délinquance et les actes d’incivilité.
La ségrégation ethnique, enfin, est la moins discernable parce que la moins mesurable. C’est un phénomène qu’il ne faut pas minorer, attribuable à la fois à des facteurs sociaux (l’homogénéisation ethnique des cités est le fruit d’une homogénéisation sociale par le bas), sociologiques (la figure de l’« immigré » effraye) ou conjoncturels (crainte de l’islam et crispation identitaire bloquent toute mobilité sociale ou territoriale).

Que faire face à cela ? D’abord, il faut redéfinir le principe d’action des politiques destinées aux quartiers défavorisés. En effet, ce n’est pas par des mesures incrémentales, fragmentées et empilées que l’on viendra à bout des problèmes, mais bien par une action volontariste et massive qui se déploie simultanément dans les trois directions identifiées plus haut.
D’autre part, l’imposition d’une politique uniforme, en matière d’urbanisme ou d’éducation, se heurte à la diversité des situations locales. Il faut donc renverser cette logique et favoriser l’essaimage des meilleures pratiques expérimentées, sur le terrain, par les acteurs locaux (enseignants, policiers, éducateurs, élus, associatifs). Cela suppose bien sûr un dialogue permanent entre les acteurs locaux et les autorités publiques.

Une fois le principe d’action défini, l’enjeu est d’induire des dynamiques positives en s’appuyant sur les atouts des quartiers défavorisés. Il y en a trois, souvent sous-estimés. Le premier, c’est l’« attractivité » géographique. Car ces quartiers bien qu’enclavés, n’en restent pas moins situés dans de vastes agglomérations, en banlieue parisienne ou lyonnaise par exemple, près d’axes de communication majeurs. Le second atout est d’ordre démographique : ces quartiers concentrent une population plus jeune que la moyenne, et qui s’adapte donc plus facilement au changement. Enfin, troisième atout remarquable, c’est la diversité culturelle qui les caractérise, laquelle, à condition d’être bien gérée, est source de performance collective.

Ces avantages compétitifs ne laissent pas indifférent. Nombre de grandes entreprises s’implantent déjà dans les zones franches urbaines ou y recrutent directement du personnel, à l’instar d’Ikea ou de la BNP. Dans le domaine de l’éducation, l’expérimentation réussie conduite par Sciences-Po avec des lycées en ZEP mériterait d’être étendue aux autres grandes écoles. Mais cela ne suffit pas. C’est pourquoi il faut tracer de nouvelles directions de travail.

D’abord, la « discrimination positive », fondée sur un principe d’équité (« donner plus à ceux qui ont moins ») et des critères objectifs (socio-économiques ou territoriaux), doit sous-tendre l’ensemble des politiques en faveur des quartiers, tout en étant rationalisée et davantage ciblée. Le cas de la politique de la ville est édifiant. Celle-ci, repose tout entière sur le ciblage de zones vers lesquelles il faut allouer les moyens, mais ce ciblage a donné lieu à une vaste panoplie de « ZZZZ » (ZUS, ZFU, ZRU...) qui se superposent et se concurrencent jusqu’à voir leurs effets s’annihiler. Il faut donc revenir à un dispositif plus simple, plus intelligible et plus facilement gérable en intégrant, au sein d’un zonage unique les trois dimensions clés : spatiale, socio-économique et antidiscriminatoire. D’autre part, la définition du périmètre et du contenu de ces actions doit être déléguée aux acteurs locaux. Enfin ces actions doivent être soumises à une évaluation systématique.

Une autre piste consiste à favoriser les synergies dans le domaine de l’éducation et de la recherche, facteurs clés de compétitivité et de croissance, qui doivent être placées au coeur du projet de développement des territoires. On pourrait par exemple créer des pôles de compétitivité autour des universités de Villetaneuse ou de Saint-Denis. C’est le principe du « cluster » dont les quartiers défavorisés doivent bénéficier en priorité, pour faire des territoires de relégation des territoires à la pointe de l’innovation. C’est faisable ! On l’a dit, les quartiers défavorisés sont souvent situés à proximité d’axes de transport stratégiques : il suffit de les utiliser (l’autoroute A1, les aéroports de Roissy et Beauvais, etc.) pour créer de nouveaux bassins d’emplois dédiés, par exemple, aux nouvelles technologies. Cela renforcera l’« attractivité » de ces territoires, créera de l’émulation et stimulera les collèges et les lycées environnants. Enfin, les « écoles de la deuxième chance », en partenariat avec les entreprises locales, pourraient remédier à la sous-qualification de la main-d’oeuvre.

Mais tout cela ne pourra avoir lieu sans une participation active des habitants de ces territoires. Il faut faire des citoyens, quels que soient leur couleur de peau, leur âge ou leur niveau de formation, de véritables acteurs du changement. C’est le concept américain de community empowerment, qui a fait ses preuves outre-Atlantique. Redonner l’initiative aux habitants des quartiers, cela peut aussi passer par un développement du micro-crédit, dont la mise en oeuvre serait déléguée aux banques de proximité, et qui serait couplé à un fond national de garantie afin de mutualiser les risques de réduire les coûts pour la collectivité, tout en palliant la ségrégation bancaire.

Loin des gesticulations, agir de façon cohérente et pertinente en direction des quartiers défavorisés est possible. Encore faut-il s’en donner la peine.

Karim Amellal, Alexandre Kateb

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