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« Ce n’est qu’un début », un film grand public sur des ateliers de philosophie dans une maternelle en ZEP

17 novembre 2010

« Ce n’est qu’un début » : des philosophes hauts comme trois pommes

Le film « Ce n’est qu’un début », actuellement en salles, retrace l’expérimentation d’ateliers à visée philosophique en classe de maternelle. Isabelle Duflocq, directrice de l’école et Pascaline Dogliani, enseignante de la classe où se déroulent les ateliers, répondent à nos questions.

Quel était le but de ce projet ?

Isabelle Duflocq, directrice de l’école maternelle Jacques Prévert de Le Mée-sur-Seine (Seine-et-Marne). Le projet d’ateliers à visée philosophique est né d’une rencontre entre la proposition d’un professeur de l’IUFM, Jean-Charles Pettier, à la recherche d’une classe acceptant d’expérimenter des outils pédagogiques qu’il avait conçus pour Pomme d’Api (Bayard) ; et pour nous, d’une pratique de l’innovation et de la recherche pédagogique (nous sommes une école d’application(1)). Le film ne s’est pas fait à notre demande. C’était même une petite prise de risque mais nous nous sommes dit : « pourquoi pas ».

Pascaline Dogliani, Maître formateur à l’école. Quand le projet est arrivé à l’école, la philosophie n’était qu’un vague souvenir de terminale, alors je me suis dit que j’allais demander aux enfants ce qu’ils en pensaient. L’un d’eux a dit : « ça doit forcément rendre intelligent ». C’était une belle remarque alors nous nous sommes dit : « tentons l’expérience ».
Concernant le film, c’est la productrice Cilvy Aupin qui cherchait une école mettant en place ce genre d’initiative. Bayard lui a donné mon nom, nous nous sommes rencontrées et de là tout est parti.

Comment avez-vous procédé pour organiser les séances avec les enfants ?

Pascaline Dogliani. J’ai commencé avec un atelier par mois, puis tous les 15 jours. Je proposais les dates, puis je les transmettais à la production pour qu’ils soient là. Il ne fallait pas que ces ateliers soient trop rapprochés car il y a un travail de préparation à faire : définir le thème, créer des animations, prévenir les parents.
Isabelle Duflocq. L’atelier s’est mis en place avec une classe entière. Au démarrage nous étions très fidèles à la proposition faite par Pomme d’Api, puis nous en avons affiné le cadre au fur et à mesure de nos analyses et expériences. Ce n’est pas facile à mettre en place, c’est un vrai défi, le réajustement est permanent en fonction de l’évolution des enfants. Il y a des moments de découragement. Mais si le projet est arrivé à son terme, c’est parce que nous étions deux à nous épauler et à analyser les situations.

Quel a été le rôle de l’IUFM dans cette expérience ? Qui a défini les thèmes abordés ?
Pascaline Dogliani. Jean-Charles Pettier nous a donné les outils et ensuite, nous avons adapté l’outil à nos besoins et aux besoins des enfants.
Isabelle Duflocq. Toute la partie de formation s’est faite avec l’IUFM, qui est partenaire de l’UNESCO. Concernant les thèmes abordés, il y a eu des propositions du formateur, de Bayard et de l’enseignante.

Est-ce que votre démarche a fait des émules, en France ou à l’étranger ?
Pascaline Dogliani. Ce n’est pas novateur au niveau des enfants du primaire, mais ça l’est au niveau de la petite section de maternelle. Ça se fait beaucoup au Canada, en Suède, en Australie… Une chercheuse canadienne, Marie-France Daniel, est d’ailleurs venue nous voir à l’école, afin d’analyser un atelier et nous donner des outils pour poursuivre. Le film s’est naturellement exporté à l’étranger.
Isabelle Duflocq. Elle fait des émules de plus en plus en France. On a des contacts lors des formations, par mails, des retours pratiques, etc. Les professeurs nous envoient leurs réalisations et on échange. L’UNESCO permet de faire parler de cette discipline, mais il s’agit plus d’une information que d’un vrai contact avec ceux qui pratiquent.

Quels conseils donneriez-vous à ceux qui voudraient vous imiter ? Avec le recul et l’expérience acquise, est-ce que vous auriez procédé différemment sur certains points ?
Isabelle Duflocq. Je conseille comme base pour une mise en pratique rapide un livre co-écrit par Jean-Charles Pettier, Pascaline Dogliani et Isabelle Duflocq : Apprendre à penser et réfléchir à l’école maternelle, chez Delagrave (8 euros). Notre expérience nous a appris de nombreuses petites choses, par exemple sur l’organisation de l’espace : il est certain que l’idéal est le cercle, où tout le monde a la même valeur de parole. Il faut beaucoup utiliser les informations données par l’attitude et le comportement des enfants, en développant l’observation de ses élèves et en étant plus à l’écoute du non verbal.
Pascaline Dogliani. Il ne faut surtout pas imiter ! On n’est pas dans le « faire comme », mais dans l’adaptation de la formation et l’expérimentation. En revanche, c’est vrai qu’il y a des choses qui ne fonctionnent pas, nous le savons, et les enseignants peuvent gagner du temps en bénéficiant de notre expérience sur le sujet. Le mieux reste d’utiliser les outils de Jean-Charles Pettier et Pomme d’Api-Bayard, ils sont sûrs.

Quels ont été les retours des élèves, des parents ? de la direction de l’école ? de vos collègues ?
Pascaline Dogliani. Au début c’était assez difficile, certains collègues ne voyaient pas d’intérêt à cette pratique, ou de différence avec une séance de langage traditionnelle. Mais nous avons discuté et certains se sont essayé à la pratique, ou alors ils ont observé et pris des notes pendant certains ateliers. Par la suite c’est devenu un projet d’école, tous le font dans leur classe. Les retours des enfants sont surprenants. Certains aiment, d’autres non, mais tous bénéficient de ces ateliers qui leur donnent un temps de parole différent et privilégié. Il n’y a pas de notion d’erreur ou d’échec, ils sont mis en confiance. En ce qui concerne les familles, notre politique a été de les faire participer le plus possible (infos, réunions, etc.). Certaines avaient des questions ou des inquiétudes, mais nous en avons parlé et tout s’est bien passé.
Isabelle Duflocq. Les retours sont de plus en plus importants et très positifs, surtout au niveau des enfants : leur regard sur le film est qu’ils se trouvent très beaux tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ils disent aussi : « ah oui, c’est quand on était petit » (ils sont maintenant en CP et CE1 !). Les parents sont très étonnés devant la capacité de réflexion de leurs enfants. Ils ne les voient plus pareils dorénavant.
Quels ont été les effets sur les enfants ? Ils n’auront probablement plus de cours de philosophie avant la Terminale : que pensez-vous de ce manque de continuité ?
Isabelle Duflocq. Il n’y a que des effets positifs. Dans les apprentissages au niveau langagier : prendre la parole et être à l’écoute. Au niveau social : respect de l’autre, connaissance de l’autre, acceptation de la contradiction, apprentissage cognitif, vivre ensemble et « savoir être ». Le lien avec la suite au cours de leur scolarité est une question qui reste ouverte : les enfants sont demandeurs mais ils savent malgré tout qu’il n’y aura plus de philo pour eux jusqu’en terminale. Le discours récent à l’UNESCO de notre ministre de l’Education Nationale laisse entrevoir une ouverture positive vers ces nouvelles pratiques.
Pascaline Dogliani. Les enfants continueront à pratiquer en famille, pas à l’école pour l’instant. Mais il y a des petites avancées, comme cet élève que nous avions et qui, dès son arrivée au CP, a décidé de faire un exposé pour ses camarades sur les ateliers philo qu’il pratiquait l’année précédente ! Ce serait formidable qu’une continuité se mette en place.
Allez-vous continuer à enseigner la philosophie aux tout-petits ? Allez-vous organiser des événements en rapport avec cette initiative ?
Isabelle Duflocq. Suite au film nous avons organisé plusieurs rencontres avec les enfants de la classe et leurs familles. Cette année tous les élèves et les enseignants de notre école sont impliqués dans la mise en place d’ateliers. C’est une réussite. De nombreux contacts se nouent avec des municipalités, conseils généraux, écoles et enseignants pour envisager des projets innovants depuis la sortie du film.
Pascaline Dogliani. Attention, je n’enseigne pas la philo, mais des ateliers à visée philosophique ! Nous avons écrit un livre pour les enseignants de maternelle, et nous sommes en train d’en écrire un nouveau. Nous avons conçu un projet sur le département de la Seine-et-Marne : les Rallyes-Défi Philo. Ils permettent aux enseignants de pratiquer les ateliers dans leurs classes en étant accompagnés, de vivre des rencontres-débats avec d’autres écoles, et ainsi de créer un réseau d’enseignants experts ou débutants autour d’ateliers à visée philosophique… Mais nous avons trop d’inscriptions et devons refuser du monde ! Il y a aussi un projet avec la commune d’Ermenonville : les « goûters d’Emile », au parc Jean-Jacques Rousseau. Enfin nous intervenons dans les écoles pour faire des ateliers et former les enseignants.
Mon souhait : qu’on arrive à créer des postes de formateurs et animateurs d’ateliers à visée philosophique, pour être détachés à plein temps, et permettre un accompagnement sur le terrain pour développer cette pratique sans être isolé.

Extrait de vousnousils.fr du 25.11.10

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