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« Ghetto », « relégation », « effets de quartier ». Critique d’une représentation des cités, par Pierre Gilbert. L’article d’un chercheur sur la stigmatisation involontaire des quartiers par la recherche (avec un long commentaire forum)

5 mars 2011

« Ghetto », « relégation », « effets de quartier ». Critique d’une représentation des cités.

Les cités sont-elles vraiment des « quartiers de relégation » dont les habitants sont captifs ? Habiter ces quartiers n’a-t-il que des effets négatifs sur l’intégration sociale des individus ? Une analyse de Pierre Gilbert. Extrait de Métropolitiques.

Pierre Gilbert rappelle que les enquêtes empiriques existantes sont loin de démontrer la validité de cette représentation véhiculée par l’usage du terme « ghetto ». Pourtant c’est elle qui fonde la réorientation de la politique de la ville depuis une dizaine d’années et le programme de rénovation urbaine qu’elle met en œuvre.

[...] Plutôt que de renforcer cette représentation et risquer d’accentuer la stigmatisation de ces territoires, il nous semble que la tâche des sciences sociales est au contraire de mettre au jour les dimensions moins visibles de la réalité de ces quartiers. Pour cela, plusieurs outils épistémologiques sont à disposition. La recherche d’un certain équilibre dans la manière d’aborder ces territoires constitue un premier pas : elle amène à se détacher d’une approche centrée sur les phénomènes et les populations les plus visibles (les jeunes hommes occupant les espaces extérieurs ou impliqués dans la délinquance) et à s’interroger autant sur les contraintes que sur les ressources attachées au fait d’habiter dans ces quartiers.

Extrait de inegalites.fr du 15.02.11 : « Ghetto », « relégation », « effets de quartier ». Critique d’une représentation des cités

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2 Messages de forum

  • Voilà un article à lire par les coordos de RAR-RRS et par les acteurs de la politique de la ville. Une prochaine thèse étant annoncée, on verra sur quoi reposent toutes ces affirmations. Déjà, dans ce court article repris par l’Observatoire des inégalités, on trouve beaucoup de bonnes choses. Pour ma part, je noterai quelques points à discuter :

     1°) L’usage du mot « ghetto » pour qualifier les cités de banlieue a été condamné depuis bien plus longtemps qu’indiqué ici. Ainsi, dans les années 80, Hervé Vieillard-Baron, enseignait dans l’académie de Versailles qu’il ne fallait pas utiliser ce mot à tort et à travers.

     2°) La spacialisation des problèmes sociaux et l’image du ghetto ne date pas « des années 90 » mais est bien plus ancienne. On peut voir à la British Library un plan de Londres, ilot par ilot, indiquant pauvreté / richesse avec des couleurs variées selon le degré, daté de 1901, de quoi bâtir une « politique de la Ville » à la Jospin-Delebarre. Mais on peut remonter, en France, plus loin avec la description de l’état d’illettrisme du quartier de la Salpêtrière nouvelle, à Paris, sous Louis XIV. L’éducation prioritaire et la politique de développement social des quartiers (DSQ) ont bien comme base la spacialisation des problèmes sociaux et éducatifs et datent de 1981.

     3°) A plusieurs reprises, ce texte insiste sur « le renouvellement de la population » qui peut « expliquer le maintien de la pauvreté du quartier ». J’ai constaté ce phénomène de façon manifeste lors d’une étude de cohorte dans ma commune : aucun des élèves de 3ème n’avait été inscrit à l’école maternelle du quartier, bien que tous aient suivi une scolarité maternelle. Comment, dès lors, estimer l’efficacité de l’éducation prioritaire dans un territoire donné, même en observant les résultats sur 10 années consécutives, si les élèves ne sont plus les mêmes ? Il est dommage que l’auteur du texte ne semble pas, ici, beaucoup intéressé par les questions scolaires : sans doute, dans sa thèse, les abordera-t-il en détail.

     4°) La recherche de l’entre-soi est « une caractéristique des catégories populaires » lit-on ici. En effet. Comme pour les toutes les catégories sociales. Et Richard Hoggart est cité. Cela est curieux car s’il a décrit ce phénomène en 1957 dans « La culture du pauvre » et en a reparlé plus tard dans « 33, Newport Street », il a montré qu’existait aussi toujours dans les milieux populaires une force contraire, plus silencieuse, dont son parcours montre un exemple réussi, force inexistante dans les catégories sociales supérieures. La résorption des cités de transit (1983-1998) a clairement montré qu’il n’y avait pas d’entre-soi recherché chez les moins de 25 ans et que ce sentiment, très fort au-delà de 60 ans, était celui émis par les chefs de famille mais absolument pas par les familles dès lors qu’on interrogeait chaque membre de plus de 11 ans (entrée au collège). Sur ce point, ce texte semble donc tomber dans l’apparent et non énoncer le réel comme il entend le faire sur tous les points abordés.

     5°) « La conception négative des effets de quartier occulte ainsi les nombreuses ressources que l’ancrage local peut offrir aux milieux populaires » lit-on, à l’appui de Retière, 1994, et de Renahy, 2005. Ceci est très important et concerne directement les coordos, IEN et principaux de collèges en RAR et RRS car ce sont eux, surtout le premier des trois, qui vont établir le projet de contrat de réussite scolaire définissant la politique du réseau. De plus, ils vont participer à la définition du CUCS où la question va aussi se trouver posée : comment définir le quartier, sa population et des élèves dans le diagnostic initial à partir duquel tout sera construit. Le texte indique plus loin : « Les habitants y sont définis soit par leurs manques, soit par des dispositions faisant obstacle à leur intégration sociale. » A juste titre, l’auteur veut voir les choses dans l’autre sens et répertorier les ressources locales. C’est ce que font, depuis 20 ou 30 ans, les bons coordos.

     6°) Cela dit, on ne suivra pas l’auteur jusqu’au bout de son raisonnement. Car il y a tout de même à repérer et à prendre en compte des éléments du réel qui différencient collectivement et sont sources de difficultés, les habitants d’une ZUS par rapport aux moyennes nationales. Ainsi pour le niveau de langue. Celui-ci est capital, on le sait, non seulement pour la scolarité mais aussi, tant individuellement que collectivement, pour l’intégration sociale (il ne s’agit pas ici de questions liées à l’immigration). Même si ceux qui parlent haut ou qu’on fait parler dans les médias ou qui sont l’objet des faits divers… ne sont pas représentatifs (c’est justement souligné dans le texte), le niveau de langue auquel ils se trouvent a toute chance d’être, lui, représentatif. Et c’est bien là un défi à relever par les services publics, au premier chef par l’Education nationale.

     7°) Citons encore un extrait : « Ce sont donc les ressources de la proximité, si importantes pour les milieux populaires, que la rénovation urbaine tend à déstabiliser. » Les acteurs de la rénovation urbaine (parmi lesquels se trouvent inévitablement les coordos) seront, dans un premier temps glacés d’effroi ! Ou exploseront. Comment peut-on dire cela ? Voilà un argument de choix pour le Front national et autres politiciens qui souhaitent laisser les choses en l’état, c’est-à-dire les laisser se dégrader encore plus. A la réflexion, on pensera qu’il ne s’agit pour l’auteur que de dénoncer les actions de rénovation sociale qui se font sans tenir compte des habitants : dans ce cas, en effet, il y des effets déstabilisateurs (pas plus pour les habitants des ZUS que pour une population aisée soumise à une rénovation urbaine, dans un quartier historique, par exemple). Mais ces effets négatifs doivent, selon la loi, être traités, modérés ou supprimés. On constate même, dans le Plan national de rénovation urbaine, des cas où une dynamique positive a pu se mettre en place, l’ensemble de la population se sentant promue par ses propres actions entrant dans le cadre de ce plan. Tel qu’il est présenté ici, c’est-à-dire sèchement, cet inconvénient subalterne de la rénovation sociale est bien dangereux.

    Ces réflexions ne doivent pas cacher le grand intérêt général du texte auquel on souhaite une large diffusion.

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    • Hervé Vieillard-Baron, dont les travaux sont rappelés par le précédent commentaire, a publié en 1994 l’ouvrage « Banlieues, ghetto impossible ». Editions de l’Aube, 170 p.

      Voici un extrait de la présentation de l’éditeur : Les "banlieues-ghettos" jouent le rôle du bouc émissaire dans la cité. Elles portent une charge qui les dépasse et qui concerne l’ensemble de la société : urbanisation outrancière, chômage grandissant, immigration non contrôlée, rupture familiale, délinquance exacerbée...

      Le thème du "ghetto", banalisé à l’extrême, doit être mis en relation avec les grandes peurs contemporaines : drogue, sida, repliement minoritaire, intégrisme religieux, nationalisme aveugle... De l’émotion personnelle devant la mort annoncée à l’émotion collective des banlieues, le lien est moins ténu qu’il ne semble. L’explosion toujours imminente des quartiers sensibles fait écho aux débats actuels sur la vulnérabilité de l’existence. Elle est emblématique du malaise de la civilisation en cette fin de millénaire où toute vie et toute ville paraissent constamment au bord du désastre.

      Voir aussi la Rencontre de l’OZP du 7 juillet 2007 animée par Hervé Vieillard-Baron sur le thème : Education prioritaire et territoires : que peut la géographie ?

      http://www.ozp.fr/spip.php?article4253

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