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Les conventions ZEP Sciences-Po (archives de presse, année 2004)

1er mai 2004

Extrait du « Café pédagogique » du 28.03.04 : où l’on reparle de Sciences-Po
La ZEP à Sciences-Po
Décrié à ses débuts, le recrutement dérogatoire d’élèves issus des établissements classés ZEP à Sciences-Po fait l’objet d’un petit dossier dans Le Figaro. C’est que l’exemple parisien fait tâche d’huile. En Provence l’IEP d’Aix a mis lui aussi en place un recrutement dérogatoire au bénéfice des jeunes des ZEP. Pour Jean-Claude Ricci, "Il fallait absolument sortir de la situation actuelle qui laisse en déshérence toute une partie de la population.".
Le directeur de l’IEP souligne les apports positifs de cette mesure : les élèves qui ont échoué au concours d’entrée ont sensiblement amélioré leur niveau. " Ceux qui n’ont pas réussi notre concours se sont dirigés vers des écoles de journalisme ou ont intégré directement la deuxième année de Deug de lettres. La création de cette classe leur a donc permis, et permettra à d’autres, de sortir du fantasme qui veut que l’entrée aux grandes écoles soit réservée à des élèves issus de milieux favorisés".

Extrait du « Parisien » du 24.03.04 : les conventions ZEP/Sciences-Po dans le 93
A Bondy, Sciences-Po donne leur chance aux lycéens des cités.
C’est signé ! Après les lycées Louise-Michel, Jacques Brel à La Courneuve, Eugène Delacroix à Drancy, Jean Zay à Aulnay-sous-Bois et Auguste Blanqui à Saint-Ouen, c’est au tour du lycée Jean Renoir de Bondy de rejoindre la liste des établissements bénéficiant d’une convention d’éducation prioritaire (CEP) avec l’Institut de sciences politique de Paris. Les conventions signées avec les lycées classés en zone d’éducation prioritaire (ZEP) proposent une voie d’accès aux élèves socialement défavorisés. Les candidats issus des ZEP sont dispensés du concours d’entrée à l’IEP de Paris mais admis sur la base d’entretiens. 37 nouveaux candidats ont fait leur entrée dans la prestigieuse institution de la rue Saint-Guillaume en septembre 2003, soit 10 % des effectifs de première année.
Cette réforme du recrutement de Sciences-po Paris avait suscité de vives réactions lors de son lancement en 2001. Entorse à l’égalitarisme protestaient les opposants au projet. Discrimination positive pour des jeunes qui n’auraient pas songé à franchir le seuil de l’IEP, répliquaient les responsables de Sciences-po. Saisie par l’UNI (syndicat étudiant de droite), la cour administrative d’appel de Paris a contraint l’IEP de Paris, en novembre dernier, à modifier sa procédure dérogatoire, sans remettre en cause son principe. « Ce dispositif crée une dynamique très stimulante pour l’ensemble des élèves. Il brise la logique de la fatalité sociale. La réussite est également accessible aux jeunes issus des quartiers difficiles. Les professeurs jugent cet élan très positif », souligne José Puig, inspecteur d’académie adjoint.
Un ancien de Saint Ouen brille
Le lycée Louise-Michel, à Saint-Ouen, est l’un des pionniers dans le département. « Jusqu’à présent, nos élèves pensaient qu’ils ne pouvaient pas avoir accès aux écoles d’excellence parce qu’ils vivent de l’autre côté du périphérique, renchérit Carole Diamant, professeur de philosophie au lycée Louise-Michel à Saint Ouen. Or le parcours de nos anciens élèves leur montre le contraire. L’un d’entre eux, déjà très brillant en terminale, est l’un des meilleurs étudiants de Sciences-po. On constate d’une manière générale que nos élèves travaillent davantage.
Christine Henry.

Extrait de « Challenge.fr » de février 04 : prépas aux grandes écoles et ZEP
N° 218 - Dossier
Bien préparer sa grande école
« SOS. Prépas cherchent candidats. Profils atypiques et origines sociales variées demandés pour former les élites de demain. Avenir assuré. » La proposition est séduisante. Pourtant, les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) manquent de postulants. Malgré des effectifs en constante augmentation - 72 000 étudiants, soit plus 1,9 % ces dix dernières années -, elles ne parviennent toujours pas à combler la demande des grandes écoles. « Sur 14 000 places aux concours des écoles d’ingénieurs, 2 000 restent vacantes, regrette Claude Boichot, inspecteur général chargé par le ministre de l’Éducation nationale d’une mission de suivi sur les CPGE. Dans les écoles de commerce, sur 6 500 places, il en reste de 800 à 950. » Des chaises vides qui sont autant de gâchis pour l’économie du pays. « Si, dès maintenant, nous ne faisons pas fonctionner à plein notre système de formation des cadres, nous risquons d’épuiser notre vivier et d’être obligés de recourir à des cadres étrangers », redoute Philippe Heudron, président de l’Association des professeurs de prépas HEC. Une menace que le ministère de l’Éducation prend au sérieux. Dans les banlieues et les petites villes de province, des classes ont été créées pour augmenter et diversifier l’offre. Seulement, elles peinent à se remplir. L’an dernier, la réforme de la procédure d’inscription - chaque lycéen peut formuler 12 vœux au lieu de 3 - aurait dû permettre d’attirer 2 000 bacheliers supplémentaires. « L’objectif n’est pas encore atteint, souligne Claude Boichot. Mais nous avons comptabilisé 500 inscriptions de plus dans les classes scientifiques publiques. »
Recherche MacGyver en herbe. Reste que le déficit est aussi qualitatif. Beaucoup de grandes écoles ne se satisfont pas du profil de leurs étudiants. « Pour parler cru, nous avons trop de premiers de la classe, s’insurge Marie Raynier. Notre enseignement est trop marqué par la formation des hauts fonctionnaires. Alors que, moi, je cherche des MacGyver en herbe. Beaucoup de talents nous échappent, car nous n’avons pas su les repérer et les pousser vers les voies d’excellence. » Pour cette directrice de l’Ecole nationale supérieure des arts et métiers (Ensam), ces perles rares doivent être débusquées dans le bas de la pyramide sociale : « Dans notre système d’éducation, le moindre incident privé - problèmes financiers, divorce… - écarte de la voie royale. Cela disqualifie des jeunes, alors qu’arriver à maintenir une petite moyenne dans des conditions difficiles est déjà la preuve d’un talent. » Moralité : l’avenir des prépas passe par leur démocratisation. Jusqu’à présent, l’ascenseur social est resté bloqué au dernier étage de l’enseignement secondaire. Alors qu’une classe de sixième est composée en moyenne de 45 % d’enfants de milieux populaires, la prépa n’en compte plus que 13 %. Ainsi, un fils de cadre a six fois plus de chances d’y entrer qu’un fils d’ouvrier. Pourtant, les portes sont théoriquement ouvertes à tous. Mais plusieurs obstacles empêchent des lycéens de franchir le cap
Obstacle financier. Premier frein à l’ouverture sociale : le coût et la longueur des études. Même si la plupart des structures sont gratuites, les élèves des milieux défavorisés n’envisagent pas de se lancer dans de longues études. De quoi vivraient-ils en attendant ? Pour y remédier, certains acteurs préconisent la création de bourses. D’autres mettent l’accent sur le développement d’un équipement trop rare : l’internat. « Il faut établir des ratios de places par rapport au nombre d’élèves dans chaque établissement, recommande Jean-Claude Lafay, chargé des CPGE au sein du Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale (SNPDEN). Ces places seraient réservées à ceux qui, pour des problèmes d’éloignement ou d’argent, en ont le plus grand besoin. »
Autre obstacle propre aux prépas commerciales : le prix des écoles de management. Comptez entre 300 et 800 euros pour l’inscription aux concours et ajoutez 6 200 euros par an pour la scolarité. Pas étonnant que cette facture rebute les petits budgets. Pourtant, grâce aux prêts bancaires, ce n’est pas insurmontable. « Pour se lancer, il faut pouvoir anticiper, remarque Philippe Heudron. Se dire que c’est un investissement qui sera rentable dans quatre ans. » Aux enseignants de convaincre les plus réticents. Difficile mission.
Car, au-delà du côté financier, se posent des questions d’ordre socioculturel. Les étudiants non initiés ne comprennent pas l’enjeu des prépas. Pourtant, comme le rappelle Joël Vallat, proviseur du lycée Louis-le-Grand de Paris, « c’est un investissement toujours gagnant, qui ne génère que de la réussite ». Ce message passe mal, parasité par de nombreuses idées reçues. Les prépas conservent l’image d’une chasse gardée des élites fortunées, perméable aux délits d’initiés. « Faux, rétorque Marie Raynier. Il leur faut comprendre que les concours d’entrée aux grandes écoles sont un rempart contre les inégalités de traitement et les favoritismes. » D’autant plus que le contenu de ces examens évolue. Les matières académiques, comme les maths ou la physique, perdent du terrain. La sélection des candidats à l’oral se fait davantage sur leurs qualités personnelles et leur inventivité. D’ailleurs, la directrice de l’Ensam travaille actuellement à la mise au point de tests d’aptitude pour détecter les éléments les plus créatifs, et pas nécessairement les plus savants.
Des a priori dissuasifs. Dont acte. Aux élèves, maintenant, d’oser faire le premier pas. Seulement, les prépas font peur. Sacrifices, bagne, concurrence impitoyable… elles traînent derrière elles un lot d’a priori négatifs qui dissuade les recrues potentielles. Surprenant : dans un guide de l’ONISEP, établissement d’information sous tutelle du ministère de l’Education, les lycéens peuvent lire : « La charge de travail est telle en CPGE que la vie étudiante est monacale. C’est un mauvais moment à passer. » Avis aux amateurs ! « Si même le ministère tient ce genre de propos, où va-t-on ? s’insurge Joël Vallat. Le problème, c’est que cela aura un effet uniquement sur les milieux modestes et mal informés. » Effectivement, ces discours suscitent la défiance des élèves et des enseignants qui, du coup, ne poussent pas leurs bacheliers vers cette voie d’excellence. Pour preuve, chaque année, plus de 400 lycées sur 2 600 ne proposent aucun candidat aux CPGE. Pour la plupart d’entre eux, ce n’est pas parce qu’ils n’ont aucun étudiant de niveau suffisant.
Aux professeurs et aux conseillers d’orientation de renverser la tendance et de diffuser une information éclairée. « Il faut qu’ils retrouvent leur rôle de conseiller et de prescripteur », recommande Philippe Heudron. Jean-Hervé Cohen, responsable des CPGE au Syndicat national des enseignants de second degré, va plus loin : « Dès la seconde, il faut instaurer un système de suivi des lycéens méritants. Seulement, beaucoup de professeurs y sont réticents, car ils craignent que cela ne creuse l’écart entre leurs élèves. Il est dommage de se contenter d’aider les étudiants en difficulté sans pousser les autres au maximum. » Sur ce point, Patrice Corre, le proviseur d’Henri IV, a voulu imposer sa marque, en s’inspirant des conventions que Sciences-Po a signées avec les lycées des ZEP. L’idée : instaurer dans ces établissements un parrainage permettant aux meilleurs élèves d’avoir un accès privilégié aux prépas de l’illustre lycée. Le concept a provoqué un tollé. « Nous avons pris cette proposition comme une gifle, rétorque Jean-Hervé Cohen, ancien enseignant au lycée Paul-Eluard de Saint-Denis. Ce n’est pas Henri IV qui va nous donner des leçons. Le mieux qu’il puisse faire, c’est de cesser de nous prendre nos meilleurs élèves et de nous permettre de les mener nous-mêmes vers les grandes écoles pour montrer l’exemple.
(…)
A Mantes-la-Jolie, une classe prépa pour sortir du ghetto
En novembre, Lise a failli tout abandonner. Deux mois en classe prépa commerciale au prestigieux lycée Janson-de-Sailly, dans le XVIème arrondissement parisien, des notes minables en anglais, l’internat et l’isolement ont découragé cette brillante étudiante. « Nous étions 70 en cours et je souffrais de l’anonymat », raconte-t-elle. Une rencontre avec les professeurs du lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie lui confirme que l’éloignement de sa famille n’est pas un sacrifice obligatoire. Elle quitte les fastes du XVIème pour la grande banlieue, où elle trouve une écoute et une solidarité inespérées.
Paradoxe de l’histoire, « Saint-Ex », qui accueille les meilleurs bacheliers du département (il s’agit des Yvelines), est situé aux portes du tristement célèbre quartier du Val-Fourré. Au printemps 1991, la cité s’embrase. Pour enrayer la violence, l’Etat propose le classement du lycée en zone d’éducation prioritaire (ZEP). « Il était hors de question de devenir le lycée du ghetto, se souvient François Duchamp, normalien et enseignant au lycée. Il nous fallait une sortie par le haut. » D’où la naissance, deux ans plus tard, d’une prépa commerciale et d’une scientifique, suivies, en 1998, d’une littéraire. « Non seulement c’est un site post-bac de proximité, mais en plus ce sont des classes d’excellence », note Françoise Cadart, proviseur. L’établissement a signé une convention avec Sciences-Po et les prépas font exploser les murs du ghetto. Les jeunes des quartiers voisins affluent. « Certains parents font tout pour inscrire leurs enfants chez nous dès la seconde, confie Renaud Palisse, professeur. Pour se jouer de la sectorisation, ils choisissent le portugais comme langue car elle fait partie de notre enseignement. » Alors que la majorité des prépas sont dominées par des héritiers des milieux aisés, ces classes renouent avec la mixité sociale. Près de la moitié des élèves sont boursiers. « Cela pousse les lycéens des milieux défavorisés à prendre confiance en eux, confie Roselyne Verrey, enseignante. Jusqu’à présent, ils croyaient que les grandes écoles n’étaient pas pour eux. » Confirmation de François Duchamp : « La moitié des élèves ne se seraient pas inscrits sans une prépa proche de chez eux. »
Mais la partie n’est pas gagnée. Ces classes ont du mal à faire le plein, ce qui menace leur existence. La première année commerciale atteint le seuil critique de 17 élèves. « Il faut sans arrêt prendre son bâton de pèlerin, regrette Renaud Palisse. 10 ans, ce n’est rien à l’échelle de l’inertie des mentalités. » Trop de ses collègues du secondaire considèrent qu’il n’y a point de salut en dehors des « parisiennes ». Avis repris par nombre de lycéens. Ceux qui restent ont des complexes. Et Renaud Palisse de raconter l’histoire de cet étudiant de Saint-Ex qui a intégré Centrale Paris. « Jusqu’au dernier moment, il se disait qu’il aurait dû choisir un autre lycée. Il a fallu qu’il réussisse pour que ses doutes s’envolent. » Décidément, les préjugés ont la peau dure.
Linda Bendali

Dans « Le Monde » du 19.02.04 : des élèves de Sciences-Po issus de ZEP parlent
Témoignages : "Nous ne sommes pas condamnés à vivre et à mourir en banlieue. »
Des étudiants entrés à Sciences-Po grâce aux conventions ZEP estiment qu’ils n’auraient jamais pu réussir le concours sans ce dispositif d’exception.
Trois ans de fonctionnement, le bilan des conventions ZEP (zone d’éducation prioritaire) à Sciences-Po est incontestablement positif. La quasi-totalité des élèves recrutés dans le cadre des conventions signées entre l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris et les lycées classés en ZEP ont réussi leur parcours : 15 des 17 étudiants admis en 2001 sont aujourd’hui en troisième année ; 30 des 33 étudiants de 2002 sont passés en deuxième année. En 2003, 37 nouveaux étudiants (sur 202 candidats, dans 17 lycées) ont été admis. Selon le bilan établi par la direction de l’IEP, les enfants d’employés et d’ouvriers représentaient la moitié des admis en 2001, 57 % en 2002 et 68 % en 2003. Des étudiants issus de ZEP racontent leur parcours au sein de l’IEP, et au-delà : les étudiants passent la troisième année à l’étranger.
 Hâkim, en troisième année à l’université d’Istanboul.
"Au début, ça a été très dur, physiquement et mentalement. Beaucoup - journalistes ou politiques - ont oublié que le sujet d’un tel projet, ce sont des êtres humains, des élèves de lycées de banlieue. Ils ont alimenté une polémique et une pression constante. Pour les cours, les devoirs et "l’intégration" (mot que je déteste), il n’y a pas eu plus de problèmes. Sauf au niveau académique où il y avait un fossé que j’ai dû combler en plus du travail obligatoire.
"Avec les autres, ça s’est passé naturellement : je n’ai pas eu de sticker sur le front avec écrit dessus "ZEP"... A Sciences-Po, ce n’est pas de la discrimination positive, c’est de la motivation positive. Ce que veut l’école avant tout, c’est une communication en direction des milliers de jeunes qui pensent qu’ils sont condamnés à vivre et à mourir en banlieue. Par cette procédure, beaucoup de personnes se rendent compte qu’ils peuvent réussir."
 Tarek (lycée des Ulis), en troisième année à université Al-Akhawayn à Ifrane au Maroc.
"Ces trois premières années n’ont pas toujours été faciles mais elles se bien déroulées. Les difficultés que j’ai rencontrées sont les mêmes que celles de tous les étudiants : s’adapter à la charge de travail, comprendre la finalité des travaux... Pour ce qui est du rapport avec les autres, ils sont humains. Les tensions que j’ai pu avoir ne concernaient pas le fait que je sois entré à Sciences-Po par la procédure des ZEP, mais plutôt sur des choses un peu plus banales comme le travail en groupe. Ma principale satisfaction est d’avoir pu valider tous les modules. Je serai satisfait lorsque j’aurai obtenu mon diplôme haut la main et que je ressortirai trilingue français, anglais et arabe."
 Delphine (lycée des Ulis), en troisième année à université de Melbourne.
"Ma première année a été assez moyenne et peu satisfaisante d’un point de vue personnel. Je pensais alors abandonner Sciences-Po et me diriger vers un cursus universitaire. J’attendais l’échec (sans vraiment l’espérer) comme une porte de sortie. En fait, c’est le succès de mon passage en deuxième année qui m’a rassurée et donné envie de continuer. Je pense que les conditions de notre intégration en première année ont été assez bonnes. La réaction plutôt positive, voire l’indifférence, des autres étudiants pour ma condition de ZEP, m’a aidé à ne pas me sentir à part. Le seul point noir reste la présence oppressante des médias qui a contribué à accentuer la pression et l’appréhension que nous avions à la rentrée.
"Il est évident qu’un désavantage existe pour l’accès aux grandes écoles. Il est tellement triste de voir que certains élèves brillants, venant de ZEP, n’entendront jamais parler de Sciences-Po, de Centrale ou de l’Ecole normale supérieure et ne tenteront donc jamais leur chance. Et même si nous étions au courant dès le collège de l’existence de Sciences-Po, je me demande si cela nous semblerait accessible. A mon avis, beaucoup seraient trop impressionnés."
 Lahlou, issue d’un lycée de La Courneuve, en première année.
"Au départ, ça a été difficile. Il faut apprendre à s’organiser, à rechercher les infos pour faire son propre cours. Mais cela est vrai pour tous ceux qui passent du secondaire au supérieur. Le stage d’intégration de trois semaines et demie avant la rentrée nous a beaucoup aidés. J’ai ressenti des différences avec les autres élèves en sciences politiques notamment : ils sont très au fait de l’actualité, des institutions, sans doute parce qu’ils en parlent chez eux. C’est un peu la même chose sur les livres. Quand un prof demande : "Vous avez lu tel auteur ?", tout le monde lève la main, pas nous.
"Sans les conventions ZEP, je n’aurais pas tenté Sciences-Po. Je connaissais son prestige - Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, Lionel Jospin ou d’autres y sont passés - mais je n’aurais pas essayé. Mes parents ne connaissaient pas. Pour mon père, l’objectif était d’avoir le bac et Sciences-Po était une fac comme une autre : je crois qu’il a aujourd’hui pas mal de fierté et d’attente. A moi de réussir.
"Sur le principe, je trouve assez dommage qu’on en arrive là. Mais cela a une utilité forte dans la mesure où le concours d’entrée à Sciences-Po est très sélectif. Pour une école d’ingénieur, on peut répondre à un problème de maths de la même façon qu’on soit issu d’un lycée du 16e arrondissement ou de La Courneuve. Pour une dissertation, comme à Sciences-Po, les différences culturelles sont beaucoup plus fortes."
 Miloud, issu du lycée Aulnay-sous-Bois, en première année.
"Par curiosité, j’ai regardé le concours d’entrée 2003. Pour moi, le déficit culturel par rapport à ce qu’apprennent les élèves des beaux quartiers aurait été un handicap. Cette expérience montre que même un lycéen issu d’une zone sensible peut réussir. Je me sens fier, entre guillemets, de représenter les élèves de ces quartiers. Je crois que cela peut avoir un impact pour eux : ils peuvent se dire : "Pourquoi pas moi ?" Je crois qu’il faut intervenir dans les lycées sensibles pour lever les inhibitions et montrer que les écoles de l’élite en général - les classes prépas, les écoles d’ingénieur, Sciences-Po, etc. - sont accessibles."
Luc Bronner.

Extrait du « Monde » du 19.02.04 : la mixité sociale dans les grandes école
La mixité sociale a du mal à s’imposer dans les grandes écoles
Dans le sillage de Sciences-Po, qui, en 2001 a décidé d’ouvrir ses portes sans concours à des étudiants issus de zones d’éducation prioritaire, des écoles tentent de pratiquer une "mobilisation positive" pour diversifier le profil de leurs recrues. Les plus réputées restent rétives à la démarche
La discrimination positive, les grandes écoles n’aiment pas. La simple évocation du concept irrite leurs dirigeants. Pas question d’y recourir. Même à Sciences-Po Paris, on refuse l’expression ; on préfère parler, comme Jean-Pierre Raffarin, de « mobilisation positive ». Pourtant, l’école de la rue Saint-Guillaume a déclenché une large polémique quand, en 2001, elle a décidé d’accueillir, sans leur faire passer le concours d’entrée, des étudiants issus de milieux populaires. "Ce n’est pas de la discrimination positive, il n’y a aucun quota", se défend Sciences-Po.
Au-delà de la querelle sémantique, l’objectif est bien de mettre en marche ce fameux "ascenseur social" qui n’a jamais fonctionné dans les grandes écoles. Certes, elles aussi ont connu la massification : les effectifs de classes préparatoires - 72 000 élèves en 2002-2003 - ont doublé par rapport à 1975. Mais il n’y a pas eu démocratisation : 63 % des élèves des grandes écoles sont enfants de cadres et de professions intellectuelles supérieures. Il y a pourtant de bons élèves issus des classes populaires. Mais ils s’engagent rarement dans des études longues. Problèmes de financement, manque d’informations, mais aussi autocensure, autant d’éléments qui les retiennent. Selon une étude du ministère de l’éducation nationale sur "Les classes préparatoires aux grandes écoles", "la probabilité qu’un élève qui obtient un bac général avec mention entre en classe prépa est 3,5 fois plus forte s’il s’agit d’un garçon de milieu supérieur que s’il s’agit d’une fille de milieu populaire".
C’est en partie cela que l’Institut d’études politiques (IEP) Paris a voulu changer. Avec succès : les deux tiers de ses nouvelles recrues sont enfants d’ouvriers ou d’employés, contre 3 % pour ceux qui passent le concours traditionnel.
Celles qu’on appelle les très grandes écoles - Polytechnique, l’ENA, l’Ecole normale supérieure, ou encore HEC - ne cachent pas leur hostilité à ce genre d’expériences. Pas question, pour elles, de toucher au sacro-saint concours, garant de l’excellence, de la sélection par les seules compétences. La mixité sociale est un sujet secondaire. A l’Ecole normale supérieure de Paris, on ne cherche pas à agir. "S’il devait y avoir une action pour la mixité, c’est au niveau des classes prépa qu’elle devrait avoir lieu. Cela ne dépend pas de nous", dit-on rue d’Ulm.
Diversifier le profil
A Polytechnique, également, on revendique la prudence. "Depuis 1997, on offre chaque année deux places à des élèves de classes prépa technologiques. On voit bien que ces élèves n’ont pas la même formation que les autres. Ils arrivent à s’intégrer. Si on en prenait plus, il y aurait plus de difficultés, ce ne serait pas leur rendre service", développe Gérard Fontaine, directeur du concours de Polytechnique, qui sélectionne 400 étudiants français chaque année.
Dans le sillage de Sciences-Po, certaines écoles, moins réputées, ont souhaité diversifier le profil de leurs recrues. Les IEP de Province sont les plus actives. Celui de Lille a mis en place un concours spécifique d’entrée en deuxième année pour des élèves issus de BTS. Sept jeunes (sur 23 candidats) y ont ainsi été admis à à l’été 2003. L’IEP d’Aix a aidé le lycée Thiers de Marseille à créer, à la rentrée 2002, une classe de préparation à Sciences-Po réservée aux meilleurs élèves de deux lycées marseillais sités en ZEP. A l’été 2003, 14 de ces élèves ont présenté le concours de l’IEP Aix, 2 ont été reçus. L’IEP de Rennes envoie, depuis 2002, des étudiants et des enseignants dans six lycées bretons situés en zone rurale pour des missions d’information et d’accompagnement, à partir de la classe de seconde.
Octroi de bourses
L’ESSEC (Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales), pour la deuxième année, mène une action analogue : certains de ses étudiants offrent un tutorat, de la seconde à la terminale et à raison de 3 heures par semaine, à des élèves issus de quatre lycées du Val-d’Oise (24 l’an dernier, 27 cette année). Objectif : mieux les armer pour les concours après le bac, notamment en élargissant leur culture.
Du côté des écoles d’ingénieurs, l’INSA (Institut national des sciences appliquées) Lyon recrute des bacheliers technologiques sur dossiers et entretiens, et leur offre une remise à niveau en 1re année.
Pour l’heure, ces expériences restent isolées. D’autant qu’il n’existe aucun volontarisme politique en la matière : l’action de l’Etat se résume, pour l’essentiel, à l’octroi de bourses. En 2002, la collectivité a consacré 4,4 milliards d’euros à l’action sociale en faveur des étudiants, dont 1,3 milliard au titre des bourses. Les bourses au mérite, notamment, créées en 1998 par Claude Allègre, permettent à des bacheliers mention très bien issus de milieux modestes - 617 l’an dernier - de préparer certains concours prestigieux, en touchant 6 102 euros par an.
Au milieu des années 1970, l’Etat a bien tenté d’accroître la mixité sociale des grandes écoles, en créant des classes préparatoires réservées aux bacheliers de séries technologiques. Près de trente ans après, elles ne se sont pas imposées. En 2002-2003, selon le ministère de l’éducation, les classes préparatoires aux écoles d’ingénieurs formaient 45 051 élèves, dont 1 685 élèves en filière technologique. Les classes préparatoires aux écoles commerciales en formaient respectivement 16 376 et 1 039.
Les élèves issus de classes préparatoires technologiques sont pourtant plus souvent issus de milieux modestes que leurs camarades des classes préparatoires traditionnelles. Ainsi, 70 % des élèves des classes préparatoires aux écoles commerciales option technologique sont enfants d’ouvriers, d’employés ou de personnes sans emploi.
Les grandes écoles ne leur ont pas fait de place. Pour les écoles d’ingénieurs, les concours sont différents, et il y a donc un nombre de places réservé à cette filière. Mais il reste faible. D’autant que certaines écoles choisissent de ne pas pourvoir toutes les places ainsi offertes aux classes technologiques.
Pour les écoles commerciales, c’est différent : le concours est commun, et il y a des options spécifiques à la filière de préparation. Il n’y a donc qu’un seul classement pour tous les candidats, quel que soit leur cursus. Difficile pour ceux qui viennent des classes technologiques de rivaliser. A HEC, il est fréquent qu’il n’y en ait aucun d’admis. L’an dernier, il y en a eu un.
Les grandes écoles ne sont pas seules responsables de l’échec des classes préparatoires technologiques. Les élèves restent peu demandeurs et elles ne sont pas remplies. C’est pour cela, notamment, que la Conférence des grandes écoles vient de lancer l’opération Tremplin STX, une campagne d’information sur les débouchés de ces filières.
"Presque tous les élèves de prépas peuvent intégrer une grande école. Et les rares qui échouent ont des équivalences niveau DEUG ou licence à l’université", précise Christian Margaria, président de la Conférence. Par ailleurs, M. Margaria a obtenu des grandes écoles commerciales qu’elles augmentent le coefficient qui s’applique à l’option technologique, afin que les candidats concernés bénéficient d’un coup de pouce relatif. Petit pas par petit pas...
Virginie Malingre.

Extrait du « Monde » du 15.01.04 : les évolutions de Sciences-Po contestées
Deux syndicats d’étudiants attaquent la réforme des droits d’inscription de Sciences-Po. D’autres projets sont suspendus à ce recours.
L’UNEF-Sciences-Po, le syndicat de gauche, et l’UNI, son homologue de droite, ont déposé, le 26 décembre 2003 et le 4 janvier, au tribunal administratif de Paris des recours en annulation contre la réforme des droits d’inscription de l’Institut d’études politiques de Paris (IEP). Le conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques a en effet décidé, le 4 novembre 2003, de moduler les droits d’inscription, aujourd’hui de 1 050 euros, de zéro à un maximum de 4 000 euros avec cinq niveaux intermédiaires, en fonction des ressources des familles. La réforme doit accroître de 5 millions d’euros, dès la rentrée 2004, les ressources de l’IEP, dont le budget est de 61 millions d’euros.
Pour l’UNEF, les nouveaux droits d’inscription violent le secret fiscal et sont "une contribution supplémentaire, obligatoire, sur une partie des étudiants, en fonction du revenu de leurs parents, dont le produit n’est pas affecté" : "Ils ont donc le caractère d’un impôt" que la Fondation n’est pas autorisée à percevoir. La direction répond que la loi du 2 juillet 1998 autorise le conseil d’administration à fixer les droits d’inscription.
Pour l’UNI, la réforme induit des "ruptures d’égalité" entre les étudiants selon qu’ils constituent ou non un foyer fiscal autonome. Les parents peuvent en effet déduire de leurs revenus imposables la pension de leur enfant, fiscalement autonome, qu’il vive ou non sous leur toit. Il peut ainsi être plus avantageux pour les familles aisées que leur enfant ne soit pas rattaché à leur foyer fiscal.
Selon l’UNI, un étudiant d’une famille de deux enfants gagnant plus de 125 000 euros net par an, qui, selon la réforme, devrait payer 4 000 euros de droits en cas de rattachement au foyer fiscal de ses parents, pourra, en étant fiscalement autonome, être exonéré des droits. Ses parents perdront certes une demi-part mais pourront déduire la pension de leur enfant. Et gagner 3 584 euros par an, soit, pour les cinq ans de scolarité, près de 18 000 euros s’ils versent à leur enfant une pension annuelle de 4 137 euros. "Un étudiant issu du barème le plus élevé pourra donc payer moins de droits d’inscription qu’un étudiant issu d’un foyer plus modeste qui a choisi le rattachement fiscal", considère l’UNI.
« Une vision catastrophiste »
"Nous avons, bien entendu, réfléchi à la solidité juridique de notre système, répond Richard Descoings, directeur de l’IEP de Paris. Et l’UNI présente une vision catastrophiste de l’attitude des parents. Mais même en acceptant cette idée extrême, je ne vois pas en quoi cela constitue un obstacle juridique."
Toutefois, ces recours gênent la direction. "Je dois tenir compte de cette action contentieuse", observe M. Descoings. Si la décision du tribunal n’intervient pas avant l’été, l’abondement à hauteur de 50 % par l’IEP des bourses versées par le CROUS - soit 1,1 million d’euros - ne sera pas engagé pour la rentrée prochaine, et l’augmentation du nombre des élèves de 6 000 à 7 000 prévue de 2003 à 2006 sera retardée, prévient-il. Même chose pour la construction d’une résidence étudiante à la Cité universitaire de Paris.
L’UNI avait déjà obtenu, le 6 novembre 2003, l’obligation pour l’IEP de revoir les conventions passées avec des lycées classés en zone d’éducation prioritaire, mais sans obtenir l’annulation de la procédure qui permet aux étudiants concernés de ne pas passer le concours. Les conventions sont désormais signées pour trois ans au lieu de cinq, et reconductibles sur décision expresse du conseil d’administration.
Martine Laronche.

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