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Marie Serpeau parle de la grammaire en ZEP (Fenêtres sur cours)

29 novembre 2004

Extrait de « Fenêtres sur cours » 29.11.04 : Marie Serpereau parle de la grammaire en ZEP

Entretien avec Marie Serpereau
« Il faut enseigner la grammaire pour des raisons d’égalité à l’école »
vendredi 26 novembre 2004

« Travailler sur la langue comme objet d’observation, c’est favoriser cette posture de scientifiques, qu’il est nécessaire de mettre en place à l’école pour tous les enfants »

 Y a t-il des raisons nouvelles d’enseigner la grammaire aujourd’hui ?

 Nouvelles ? Pas vraiment. Disons plutôt qu’en dehors de notre pays, beaucoup de systèmes éducatifs ont abandonné l’idée d’enseigner la grammaire. Les pays anglo-saxons par exemple. Les Etats-Unis considèrent qu’un enseignement spécifique de l’étude du fonctionnement de la langue n’est pas nécessaire, car sa maîtrise s’acquiert de façon spontanée et implicite. Or, aujourd’hui, il nous faut l’enseigner pour des raisons d’égalité à l’école. Les élèves des milieux les plus populaires ont généralement un rapport spontané à la langue, un rapport d’usage. Ils l’utilisent pour son contenu. Il est pourtant très important qu’ils comprennent qu’elle peut être un objet d’étude ; comment elle fonctionne et pourquoi. Les élites, qui par la suite manipulent à leur guise le langage, sont des gens qui ont eu cette réflexion. La langue n’est pas un véhicule neutre de la pensée.

 C’est donc un enjeu de pouvoir ?

 Oui et le fait de ne pas l’enseigner accroît les inégalités. Pendant très longtemps la grammaire a été enseignée uniquement pour pouvoir comprendre l’orthographe. La complexité de la langue française écrite, son évolution phonologique par rapport à la langue latine nécessitent d’enseigner la grammaire pour comprendre notre orthographe et ses vestiges, pour pouvoir lire et écrire. Et ce, dès le début, car les enfants sont capables de comprendre tout petits, si on le leur fait découvrir, pourquoi on écrit par exemple « nt » à la fin d’un verbe au pluriel. Or jusqu’à présent, on a plutôt forgé l’idée chez l’enfant, que grammaire et orthographe étaient des lieux d’obéissance où il faut appliquer des règles, faire des exercices d’entraînement pour faire comme la norme l’exige. Dans ce cas on les « docilise ». Ils ne s’émancipent absolument pas.

 Que doit faire l’école pour ne pas enseigner la grammaire comme une norme ?

 Il y a des règles de fonctionnement de la langue qui n’ont pas de rapport avec l’intention du message, par exemple les accords de pluriel, féminin, masculin. Ce sont des règles propres à la logique de la langue, de syntaxe... Le danger d’enseignement de la grammaire comme norme existe si d’une part l’on ne reconnaît qu’un seul registre de langue, et si d’autre part on méconnaît le fait que la langue a une histoire. Il y a eu dans l’histoire de l’apprentissage de notre langue une période du « français fondamental », avec le risque d’un appauvrissement de la langue... Aujourd’hui, l’objectif est différent. Les enfants doivent comprendre toutes les situations de communication, de l’oral comme de l’écrit. Avoir une connaissance la plus large possible des registres de la langue orale et écrite, que ce soit celle des médias, celle de la rue, de la publicité ... et maîtriser, jongler avec toutes les normes existantes. Être capables de lire aussi bien un texte du XIXe siècle que du XXe siècle, de lire des albums aussi bien que des textes documentaires. Il s’agit de travailler sur une langue réelle et non une langue fictive qu’il faudrait enseigner pour que tout le monde parle de la même façon.

 Ce travail sur la diversité des registres de communication peut-il contribuer à réduire les inégalités scolaires ?

 Ça permet de prendre conscience d’un certain nombre de mécanismes mis en jeu. Les enfants qui conservent un rapport très utilitaire à l’école ne réussiront pas à l’université ou ailleurs. Ceux qui se sont appropriés des discours peuvent mener des études longues. Ils ont un rapport scientifique aux choses. Travailler sur la langue comme objet d’observation, c’est favoriser cette attitude, cette posture de scientifiques qu’il est nécessaire de mettre en place à l’école pour tous les enfants. Construire cette attitude, c’est faire de l’élève un observateur réfléchi. Par cette posture, l’objectif est aussi de permettre à l’enfant de construire des savoirs quels que soient les domaines. Si on arrive à le faire pour la langue, et c’est possible, l’entrée dans les autres savoirs de l’école en sera facilitée.

 Quelles peuvent-être les caractéristiques d’un enseignement « démocratique » de la grammaire ?

 Ce qui n’est pas démocratique, c’est de faire, nous l’avons vu, une leçon et de proposer ensuite un exercice d’application. Dans cette situation, les enfants ne perçoivent pas l’enjeu de la grammaire comme étude d’une langue. Ils se retrouvent dans une situation d’application et donc de « docilisation ». C’est le cas, la plupart du temps, dans les pratiques courantes. À la fin de l’exercice, on peut penser que les élèves ont compris mais on observe vite qu’un certain nombre ne sont pas en mesure de réinvestir la notion. Ce mode d’enseignement traditionnel de la grammaire fait perdurer les inégalités.
La démarche est différente si l’on travaille à partir de corpus de textes à partir desquels les élèves font un travail de recherche de type scientifique, comme ils pourraient le faire en mathématiques, en émettant des hypothèses, qu’ils vont vérifier, discuter en argumentant, en cherchant d’eux-mêmes à découvrir les règles qui régissent la langue. On ne leur donne pas la règle, on leur demande de la construire par l’observation de découvrir ce qu’ils pensent être la règle. Par la suite, ils seront capables d’appliquer à d’autres situations ce qu’ils auront découvert sur un cas particulier. L’exemple le plus flagrant est celui de l’enseignement des accords des participes passés. Beaucoup d’adultes ne le maîtrisent pas parce que les cartes ont été brouillées dès le départ, alors que si on leur avait donné d’emblée à identifier des participes passés dans une situation complexe, ils seraient maintenant à même de découvrir une règle fonctionnant dans tous les cas.

Nous avons, comme militants du GFEN, expérimenté ces pratiques en ZEP, dans des lieux dits défavorisés, où l’analyse de la langue et les catégories grammaticales ont été redécouvertes par les enfants confirmant ainsi le postulat selon lequel il n’y a pas de handicap insurmontable. Une manière pour l’école de construire l’égalité... Et de plus, dans la jubilation de la découverte, les enfants s’inscrivent volontairement à des ateliers facultatifs de grammaire et d’orthographe.

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