> II- EDUCATION PRIORITAIRE (Politique. d’) : Types de documents et Pilotage > EDUC. PRIOR. TYPES DE DOCUMENTS > Educ. prior. Positions et publications syndicales > Le projet de loi Fillon et les inégalités scolaires : points de vue de (...)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Le projet de loi Fillon et les inégalités scolaires : points de vue de chercheurs (Fenêtres sur cours)

29 novembre 2004

Extrait de « Fenêtres sur cours » 29.11.04 : contre les inégalités scolaires.

Inégalités scolaires : Quels chemins pour la réussite de tous les élèves ?
jeudi 25 novembre 2004

Le milieu social, économique et culturel dont sont issus les élèves est sans conteste un élément déterminant de la réussite ou de l’échec scolaire (...) Comment alors déconnecter la lutte contre l’échec scolaire de tout ce qui, en amont, fragilise les élèves issus des milieux les plus défavorisés ?

« Pour la réussite de tous les élèves » , tel est l’intitulé du rapport Thélot sur lequel le gouvernement devrait s’appuyer pour préparer la nouvelle loi d’orientation, même si le ministre de l’Education nationale affirme vouloir prendre ses distances par rapport à ce texte. Jamais, semble-t-il, un objectif aussi généreux n’aura été autant partagé. Mais, sous couvert de lutter contre les inégalités à l’école, contre l’échec scolaire, les mesures décidées in fine par le ministère pourraient bien être loin de faire l’unanimité. Les déclarations de François Fillon pleines de « nostalgie régressive » pour l’école du temps du Certificat de fin d’études, selon les termes d’Hervé Hamon, membre du Haut conseil de l’évaluation de l’école, tranchent tellement avec les multiples appels émanant des professionnels de l’éducation en faveur d’une meilleure diffusion et prise en compte de la recherche !

La démocratisation en panne !

Aller « vers la réussite de tous les élèves », d’accord !, mais en suivant quel chemin ? C’est tout l’enjeu auquel est confronté aujourd’hui le système éducatif qui, avant d’apporter des réponses toutes faites, ferait bien de dresser sans complaisance un diagnostic sur l’état de l’école. Premier constat : la démocratisation du système scolaire semble en panne depuis quelques années. Certes, la période de scolarisation obligatoire des élèves a été allongée jusqu’à l’âge de 16 ans depuis l’instauration du collège unique, aujourd’hui plus de 70 % des élèves de chaque tranche d’âge poursuivent jusqu’au BAC alors qu’ils n’étaient que 34 % en 1980 (l’objectif énoncé sous le ministère de Jean- Pierre Chevènement était de 80 %) et que moins de la moitié atteignait le Certificat d’études à l’époque où ce dernier constituait la porte de sortie du système scolaire pour la majorité des élèves.

Mais pour autant, la démocratisation du système semble avoir atteint un palier. Environ 7 % des élèves quittent l’école sans qualification (35 % en 1965), 15 % ne maîtrisent pas la totalité des compétences requises à leur entrée en 6e selon les évaluations. S’il y a bien eu une élévation du niveau de formation pour tous, le taux d’échec ne recule plus ; comme si on avait à faire à un « noyau dur » auquel le système éducatif ne serait pas capable d’apporter de réponses adaptées. Dès lors, la tentation est grande de rendre l’école entièrement responsable de cette situation, et un retour aux bonnes vieilles méthodes s’imposerait. On peut en douter. « Ce n’est pas l’école elle-même qui en est responsable, déclarait il y a quelques mois à « Fenêtres sur cours » Bernard Lahire, professeur de sociologie à l’Ecole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon II. La reproduction des inégalités sociales est le fruit d’une rencontre entre l’institution scolaire, ses codes et son fonctionnement, et les milieux populaires où se recrute encore l’essentiel des élèves en échec scolaire. » Autrement dit, une société elle-même inégalitaire ne saurait faire porter le chapeau des inégalités à l’école à la seule institution scolaire.

Le seul lieu des apprentissages scolaires pour les plus défavorisés

Le milieu social, économique et culturel dont sont issus les élèves est sans conteste un élément déterminant de la réussite ou de l’échec scolaire. Selon Agnès Van Zanten, sociologue à l’observatoire sociologique du changement du CNRS, « 75 à 80 % de ce qui se passe dans un établissement est déterminé par les caractéristiques scolaires et sociales du public à son entrée ». Comment alors déconnecter la lutte contre l’échec scolaire de tout ce qui, en amont, fragilise les élèves issus des milieux les plus défavorisés ? Le faible niveau d’étude des parents, les difficultés liées à l’emploi, la faiblesse des revenus et, dans les situations les plus précaires, les problèmes de logement, de nutrition, de santé, d’endettement, de langue maternelle, etc. constituent autant d’obstacles au bon déroulement de la scolarité. Elisabeth Bautier, professeure de Sciences de l’éducation à l’université Paris 8 en note d’ailleurs les effets dès l’école maternelle. « Pour certains enfants l’école est le seul lieu des apprentissages scolaires, alors que dans certains cas le préapprentissage de la lecture peut être assuré par les familles », remarque-t-elle.

Le poids des politiques locales

Comment dans ces conditions l’école pourrait-elle assurer l’égalité des chances de tous les élèves ? Il faudrait déjà que chaque établissement soit logé à la même enseigne. Or, une étude réalisée en 2001 par le SNUipp mettait en évidence les disparités existantes entre écoles, écornant du même coup le mythe de l’égalité républicaine. Pour ce qui concerne, par exemple, les crédits pédagogiques, les moyens alloués par les communes ou leurs regroupements varient de 1 à 10. Et la ligne de partage ne se situe pas seulement entre communes pauvres ou riches, elle dépend aussi des choix des municipalités en matière de politique éducative. Les différences budgétaires portent aussi sur les crédits d’équipement, sur les subventions et quand on demande aux communes d’informatiser les établissements dans la perspective de la mise en place et de la généralisation du B2i, toutes ne répondent pas avec le même entrain aux injonctions ministérielles. La question de l’établissement d’un cahier des charges national définissant un niveau d’équipement indispensable pour chaque école, avec éventuellement la mise en place d’un système de péréquation pour réduire la fracture entre villes riches et villes pauvres, ne mérite-t-elle pas d’être examinée dans le cadre de la préparation d’une nouvelle loi ?

L’école face à ses propres responsabilités

Mais le débat serait faussé si l’école n’examinait pas non plus son propre niveau de responsabilité en tant qu’institution. Où en est-on par exemple de la mise en œuvre des dispositifs d’aide et d’accompagnement des élèves en difficulté. Dans le cadre de la dernière loi d’orientation, la scolarisation des 2 ans était fortement préconisée comme un outil de prévention de l’échec scolaire, notamment dans les ZEP. Or le taux de scolarisation précoce reste très en retrait des ambitions premières, et a même régressé depuis cette époque, puisqu’il était passé de 35 % en 1989 à 32 % en 2002. L’objectif était d’apprendre très tôt aux enfants à devenir élève, surtout à ceux qui dans leur famille n’ont pas eu l’école « dans le biberon », comme dit Sylvie Chevillard, conseillère pédagogique à Paris et membre du groupe ESCOL. De ce point de vue, la polémique initiée par Xavier Darcos qui souhaitait « freiner la scolarisation des 2 ans pour libérer des emplois », et par Luc Ferry pour qui « l’accueil de ces enfants est souhaitable pour des raisons sociales et non pas scolaires », paraît complètement décalée au regard de la recherche pédagogique qui préconise, elle, la « scolarisation de la maternelle » pour lutter contre l’échec scolaire.

Les dispositifs d’aide en question

Il est temps aussi que l’institution s’interroge sur les dispositifs spécifiques mis en place pour réduire les inégalités à l’école : les ZEP et les RASED notamment. Dans les premières, on constate depuis plusieurs années un relèvement des effectifs moyens par classe et un manque dans la scolarisation des plus jeunes. Et les cartes scolaires qui se succèdent, dans un contexte budgétaire de plus en plus difficile pour l’Education nationale, ne permettent pas d’envisager un retournement de tendance. Pendant ce temps, les stratégies de contournement de la carte scolaire élaborées par de nombreuses familles issues des classes moyennes, ne permettent plus de garantir cette mixité sociale à l’école pourtant présentée comme une des conditions de la réussite du dispositif. Quant aux RASED, ils sont eux aussi victimes des choix budgétaires du gouvernement. « L’état des lieux des emplois en réseau d’aides montre une répartition disparate sur l’ensemble du territoire national, parfois peu adaptée aux caractéristiques du public à aider » souligne Marie-Françoise Crouzier, chargée de cours à l’Université Lumière Lyon 2. Interroger les pratiques enseignantes Enfin, les pratiques enseignantes ne peuvent être ignorées.

Comme le note Elisabeth Bautier, pour améliorer ces pratiques, il est important d’étudier « la façon dont les enseignants aident les élèves à interpréter les enjeux d’apprentissage - ou ne les aident pas, voire perturbent involontairement l’interprétation - et aussi d’étudier la façon dont ils construisent les objets d’apprentissage ». De son côté, Christine Campoli, professeure de français et directrice adjointe de l’IUFM d’Amiens, souligne qu’alors que les nouveaux programmes ont placé la littérature jeunesse au cœur des apprentissages, « le maître n’est pas un professeur de texte, c’est un professeur de lecture », ce qui appelle à un changement radical de posture de sa part.

Dans le travail de réflexion nécessaire à l’élaboration d’un projet ambitieux de réduction des inégalités à l’école, des exigences doivent être posées. Elles reposent sur le besoin de faire évoluer les pratiques avec plus de maîtres que de classes, avec l’extension des temps de concertations, avec le développement du travail en équipe, d’une pédagogie différenciée, du travail en petits groupe d’élèves, de la polyvalence au niveau des équipes. Une évolution qui ne saurait se faire non plus sans rénover la formation initiale et continue des maîtres. Vaste chantier !

Répondre à cet article