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Patrick Weil parle des conventions ZEP Sciences et des grandes écoles

4 juillet 2005

Extrait du site de « L’ours », Office universitaire de recherche socialiste, le 03.07.05 : la crise du principae d’égalité dans la société française.

Entretien avec Patrick Weil
Recherche socialiste n°23 juin 2003 (à paraître le 15 juillet 2003)

Nous avons demandé à Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, auteur d’un ouvrage remarqué paru il y a quelques mois, « Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution » (Grasset, 2002), de piloter le dossier événement de ce numéro consacré à l’intégration.

En forme d’introduction aux articles publiés ici, nous lui avons posé quelques questions générales pour situer l’ensemble de la question et revenir sur quelques polémiques récentes.

(...)

Question : Vous releviez que les grandes écoles sont aujourd’hui inaccessibles à une partie de la population. Que pensez-vous, par exemple, de la façon dont Sciences-Po a décidé, pour être plus ouvert sur la société, de recruter des élèves dans les banlieues difficiles ?

Patrick Weil : Du côté des " grandes écoles ", c’est à l’entrée que les choses se passent mal et pas simplement pour les enfants d’immigrés. L’exemple de Sciences-Po Paris est intéressant parce qu’il a provoqué un débat. Quel est le problème de l’IEP de Paris ? Ses responsables ont remarqué que le recrutement social de leur école était de moins en moins représentatif de la société, avec en 1998 81 % des étudiants provenant de milieux sociaux favorisés contre 12,5 % provenant des classes moyennes ou populaires (dont 0,5 % d’ouvriers). Le problème vient des épreuves qui composent l’examen d’entrée. Il y a une matière éliminatoire, la langue vivante, et chacun sait que c’est la matière la plus discriminante socialement. L’autre matière très importante est la culture générale, pour laquelle il n’existe pas de programme de préparation, et qui ne peut s’apprendre " qu’en famille ". Plutôt que de remplacer ces épreuves par d’autres qui puissent se préparer comme celles du baccalauréat, les responsables se sont dit : " On va donner cette image de diversité en allant recruter des élèves dans quelques ZEP ", des élèves " méritants " choisis par des professeurs, qui ne passeront pas l’examen. Face aux procès en légitimité républicaine et démocratique qui auraient pu leur être intentés, puisque c’est une école de plus en plus financée par le budget de l’État, donc par les contribuables, ils ont choisi d’instiller une petite dose de diversité culturelle, tout en maintenant avec le même examen d’entrée la ségrégation sociale.

Le message est clair pour la très grande majorité des enfants des classes moyennes, et des classes populaires de toute la France, qui auraient envie d’entrer dans cette école prestigieuse : ils ne pourront, sauf cas exceptionnel, y accéder. Les enseignants qui préparent leurs élèves dans leur lycée de province, quand on les interroge, vivent très mal l’existence de ce barrage infranchissable. Pour moi, c’est du faux modernisme et cette réforme est conservatrice. On a ici fait le choix d’un zeste de diversité pour maintenir le système de ségrégation. On a " changé " pour que rien ne change.

Et la gauche ne doit pas tomber dans ce piège. Elle doit favoriser l’égalité des chances, débloquer l’ascenseur social pour tous, et dans cet ascenseur monteront aussi des enfants de l’immigration ou de nos compatriotes d’outre-mer. L’égalité permettra la diversité alors qu’aujourd’hui la diversité est promue pour empêcher l’égalité. Et si cela ne devait pas être le cas, alors il faudrait prendre des mesures, favoriser par exemple le développement de classes préparatoires dans les ZEP. Mais cela se ferait alors avec une tout autre légitimité. Il ne faut cependant pas oublier que la masse des étudiants continuera d’aller plutôt à l’université, qui reste ouverte à tous. Mais ses moyens se sont considérablement dégradés. Elle s’est paupérisée, beaucoup de ceux qui y entrent en ressortent sans diplôme ou sans emploi, faute de soutien dans leurs études ou d’orientation adéquate. De nombreuses réformes sont donc à accomplir.

(...)

Propos recueillis par Frédéric Cépède

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